De Madagascar, la presse internationale brosse généralement un portrait angoissant. Pauvreté, catastrophes, famine, cyclones: l’île serait abonnée au malheur. Pourtant, malgré des indicateurs économiques en berne, l’île connaît un net développement de ses infrastructures sous l’impulsion du président Andry Rajoelina. Avec l’élection présidentielle prévue le 9 novembre 2023, le pays se trouve à la croisée des chemins.
« La Russie est un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme » disait Churchill. Nous pourrions en dire autant de Madagascar. L’île rouge, surnommée ainsi en raison de la latérite qui colore ses plateaux, connaît un destin singulier. Celui-ci prend la forme d’une question qui intrigue chercheurs, diplomates et visiteurs depuis des décennies : pourquoi un pays si riche est-il si pauvre ?
Le mystère de la Grande île
On parle de « mystère malgache » pour caractériser ce phénomène. À son évocation, les regards deviennent évasifs et les réponses hésitantes. « Je suis ici depuis des années et je ne comprends toujours pas », nous souffle une source diplomatique dans les couloirs du Palais présidentiel, à Antananarivo, la capitale. Madagascar est en effet le seul pays d’Afrique qui s’appauvrit depuis son indépendance, sans avoir connu de guerre. Le revenu par habitant a reculé de plus du tiers depuis 1960 et le taux de pauvreté atteint 81% en 2022 selon la Banque Mondiale. La Grande île s’est fait distancer économiquement par des pays tels que le Bénin, le Cameroun et même le Burkina Faso, parfois moins riches en ressources ou affligés de défis sécuritaires. À titre d’exemple, la Côte d’Ivoire affiche un PIB/habitant de 2 276 dollars US en 2022, contre environ 500 à Madagascar. Pourtant, l’île ne connaît pas de tensions ethniques, si souvent source de crises en Afrique subsaharienne, et sa courbe démographique est similaire à celles des pays de la région. Cette évolution de long terme est-elle un accident de l’histoire ou une fatalité ? Personne n’ose trancher1.
Les mystères de l’île heureuse
Ce mystère s’épaissit quand on sait que Madagascar a tout de l’Eldorado. « L’île heureuse », c’est ainsi que l’on définissait l’île jadis, lorsque la prospérité y régnait. Et pour cause, elle fut pendant longtemps le grenier de l’océan Indien. Dans les années 1960, elle exportait du riz en quantité (entre 50 000 et 70 000 tonnes par an), et 50 000 km de routes zébraient le pays. N’en restent plus que 15 000 aujourd’hui, et l’île est devenu dépendante des importations de riz (plus de 750 000 tonnes en 2022).
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Madagascar, c’est d’abord un potentiel de croissance grandiose. Un « potentiel » qui suinte de l’île tout entière, de ses terres fertiles, regorgeant de bois précieux, nickel, cobalt, saphirs, or et vanille, de sa nature somptueuse, de sa faune et sa flore endémiques à plus de 80%, de ses 6 000 km de littoral aux allures de carte postale ou des forces vives d’une population francophone au sourire inaltérable, dont l’ancienne civilisation fascinait Jean Paulhan. Au concours des paradis pour touristes et entrepreneurs, cette île aux trésors aurait de quoi faire pâlir d’envie toutes ses rivales.
« Potentiel » est d’ailleurs le maître mot à Madagascar. Celui que l’on répète comme un leitmotiv, aussi bien dans les communiqués des bailleurs de fonds et des agences de développement que dans les discours du président Rajoelina. Un potentiel jusqu’ici resté en friche, et l’on songe à la phrase de Charles de Gaulle sur un autre géant alors en devenir : « Le Brésil, pays d’avenir et qui le restera longtemps ! ». Les deux pays partagent d’ailleurs de nombreuses similitudes : tous deux sanctuaires d’une nature unique au monde, riche en ressources, mais dont la force et la beauté ont longtemps été prisonnières d’une caste politique prédatrice. Pour le Brésil toutefois, le destin souvent promis, longtemps ajourné, s’est enfin accompli, tandis que dans l’horizon prometteur de Madagascar tarde à se profiler la lueur d’une croissance durable.
Un développement contrarié
Pour expliquer cette difficulté à décoller, les défis environnementaux sont fréquemment invoqués. La Grande île figure parmi les trois pays les plus vulnérables au changement climatique, d’après les Nations Unies. Les puissants cyclones, entre trois et cinq par an, qui frappent la côte Est et ravagent les rizières, coûtent 1 milliard d’euros par an à l’État et l’équivalent d’un point de croissance. La redoutée sécheresse (kéré en malgache) décime régulièrement les cultures dans le sud. En 2020, elle a précipité plus d’un million de personnes dans une malnutrition aiguë et provoqué un exode massif dans les villes, accentuant d’autant le chômage.
Mais cette fatalité ne suffit pas à expliquer cette trajectoire. La théorie du déterminisme géographique, qui prône une explication des difficultés économiques par les défis climatiques, est en effet battue en brèche par de nombreuses études, notamment celles de Pierre Gourou2. Pour le géographe, tout est d’abord politique. Ainsi, l’île Maurice voisine, en proie à ces mêmes cyclones, connaît un développement économique remarquable et a accédé au rang d’économie à revenu élevé en juillet 2020, selon la Banque Mondiale.
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La politique économique peine aussi à expliquer ce développement contrarié. Madagascar a exploré tout le spectre des orientations idéologiques sans pour autant parvenir à inverser la tendance. La tentative du marxisme étatisant et collectiviste de l’amiral Ratsiraka dans les années 1970 a mis un brutal coup d’arrêt à une période d’or, celle de la Première République, dont on sent poindre une nostalgie encore vivace chez certains cadres malgaches. Depuis, les indicateurs économiques ont sombré. Malgré des politiques d’ajustement structurel par les institutions financières internationales dans les années 1980-90, jusqu’au libéralisme assumé du président Marc Ravalomanana dans les années 2000, le pays s’enlise dans la paupérisation. Aucune de ces politiques économiques n’est parvenue un tant soit peu à alphabétiser, électrifier et équiper en infrastructures le territoire.
Finalement, l’une des clés tient peut-être à l’absence générale de l’État. Sur cette île vaste comme la France et le Benelux réunis, et où certaines zones sont inaccessibles, tant à pied qu’en voiture, le taux d’administration, c’est-à-dire le nombre d’agents de l’État par rapport à la population totale, est l’un des plus faibles au monde. La fonction publique compte 230 000 fonctionnaires en 20233, soit moins de huit fonctionnaires pour 1 000 habitants. Or l’institution est la digue qui contient les mauvais penchants de l’homme. Elle régule ce fatal invariant anthropologique qu’est son appétit immodéré pour les ressources. Sans l’égide de l’État, une société risque de se livrer à une prédation incontrôlée et la ruine de son environnement naturel, une entropie qui résonne avec Sa Majesté des Mouches du prix Nobel de littérature William Golding. Sur l’île déserte accueillant des écoliers, seuls rescapés d’un crash d’avion, le paradis vire à l’incendie généralisé.
À Madagascar, 44 % de la couverture forestière a disparu depuis 1950, la population rurale pratiquant de façon intense la culture sur brûlis. Sur la plaine rase de ces terres mise à nu résonne la phrase attribuée à Chateaubriand : « Les forêts précèdent les hommes et les déserts leur succèdent ». Mais la subsistance quotidienne ou l’appât du gain l’emportent. Les enjeux de biodiversité restent hermétiques à des hommes qui sont les premiers dépositaires de cette nature exceptionnelle, mais qui doivent bien (sur) vivre et ne font pas le lien avec les questions de développement. « Madagascar est un tableau de Dieu » s’émeut Olivier, le pilote du président, devant la beauté du paysage rouge strié de rizières en terrasses se déroulant sous nos yeux. Mais le tableau est mal encadré, et le conservateur du musée manque à l’appel.
Les douze travaux du président Andry Rajoelina
Le président actuel, pourtant, entend bien faire bouger les lignes. Il est résolument prêt au combat, comme il s’emploie à le signifier au Palais des Sports d’Antananarivo. En cette matinée du 27 mai, le président Andry Rajoelina, ceinture noire de karaté, s’est vu octroyer…
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1 Voir à ce propos l’ouvrage de Patricia Rajeriarison et Sylvain Urfer, Madagascar. Idées reçues sur la Grande île, Paris, Le Cavalier Bleu, 2016 ; et Mireille Razadrafinkoto et al., L’énigme et le paradoxe. Économie politique de Madagascar, Marseille, IRD Éditions, AFD, 2017.
2 Voir Pierre Gourou, Afrique tropicale : nain ou géant agricole ?, Paris, Flammarion, 1991, et Les pays tropicaux : Principes d’ une géographie humaine et économique, Paris, PUF, 1969 (1947).
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