« Les espoirs de retrouver des survivants s’amenuisent de minute en minute après ce naufrage tragique, mais les recherches doivent continuer » a déclaré Stella Nanou, porte-parole du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés en Grèce. Le drame de la frêle embarcation de migrants clandestins ayant chaviré au large de Pylos, dans la péninsule du Péloponnèse, n’est pas le premier du genre. Les mêmes critiques sont sempiternellement adressées à l’Europe, coupable de ne pas accueillir à bras ouverts les migrants.
Mercredi 14 juin, un bateau de pêche surchargé d’au moins 400 migrants a coulé dans les eaux internationales au large de la côte grecque. On déplore 79 noyades et un nombre inconnu mais sûrement élevé d’autres personnes portées disparues jusqu’à nouvel ordre. Les autorités grecques ont arrêté neuf individus, d’origine majoritairement égyptienne, accusés d’être des trafiquants de vies humaines.
Les médias en France comme ailleurs ont beaucoup parlé de cette tragédie, et à juste titre. Pourtant, de nombreux commentateurs (femmes et hommes politiques de gauche, représentants d’ONG, militants déguisés en universitaires…) sont montés au créneau pour pointer du doigt les institutions qu’ils croient responsables de ce drame qui n’est pas le premier de ce genre et ne sera malheureusement pas le dernier. En tête de la liste des coupables, l’Union européenne dont la politique migratoire est jugée peu accueillante. Selon le chœur des dénonciateurs, il faudrait simplifier le processus de demande d’asile et multiplier les itinéraires sûrs permettant aux migrants d’arriver en Europe. Si de telles mesures étaient prises, les réfugiés trouveraient asile chez nous, les passeurs n’auraient quasiment plus de clients et les tragédies comme celle du 14 juin seraient évitées.
La seule objection qu’on peut faire à ce beau programme, c’est qu’il ne marcherait pas. La situation créée serait même pire que l’actuelle. Pourquoi?
Le premier problème avec l’approche soi-disant humanitaire est évidemment l’absence de distinction entre réfugiés authentiques, chassés de leurs maisons par une guerre, et migrants économiques cherchant une vie meilleure. Cette absence de distinction empêche de faire une autre distinction, essentielle, concernant les causes des flux migratoires. C’est la distinction entre les facteurs dits « push » et « pull ». Côté « push », des personnes peuvent vouloir fuir des zones de combat ou de famine pour trouver refuge ailleurs. Côté « pull », elles peuvent être attirées par les libertés, les opportunités économiques et les conforts offerts par la vie en Europe. De façon cruciale, plus les gens voient d’autres partir de chez eux pour une meilleure vie, et plus ils entendent des récits (communiqués par smartphone) de migrants ayant réussi le voyage jusqu’en Europe, plus ils sont motivés pour partir eux-mêmes.
Un flux incessant et qui s’intensifie
C’est comme si les apôtres de l’approche humanitaire imaginaient que, dans chaque pays d’origine, il y avait un nombre précis et limité de réfugiés. Il suffirait de les faire venir en Europe, de drainer cette « poche » de population sans abri, déplacée, pour retrouver un équilibre où tout le monde se trouve là où il est en sécurité, que ce soit en Europe ou dans les pays d’origine. Ils ne voient pas que, augmenter le nombre de personnes qui sont accueillies sans trop d’obstacles, c’est augmenter le nombre de celles qui voudront venir.
Et c’est là qu’intervient le deuxième problème. Car l’expansion de la demande ne mettra pas fin au modèle économique. Il créera deux marchés parallèles, l’un géré par les États et les ONG, l’autre par les passeurs. C’est comparable à la façon dont la légalisation de certaines drogues échoue à en briser le trafic illégal. En manipulant les prix et en étendant la variété de leur offre, les cartels agrandissent le marché. En termes de réfugiés, les mesures humanitaires démultiplieront les migrants que les Européens auront à accueillir et à intégrer, sans mettre fin aux bateaux surchargés qui courent le risque de couler.
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L’exemple de la Manche est un cas d’école, car c’est un marché entièrement géré par des trafiquants. En 2022, quel était le pays d’origine numéro un des migrants clandestins qui ont fait la traversée dans des bateaux de fortune (selon les statistiques officielles) ? L’Albanie. Ce pays n’est pas en guerre. C’est même un pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne. Pourtant, en Albanie des villages entiers ont été vidés de leurs habitants qui ont été séduits ou contraints à partir par des réseaux criminels. Seul un accord entre les gouvernements britannique et albanais pour empêcher les départs et faciliter les rapatriements a pu diminuer le flux des Albanais en 2023.
Une question économique et criminelle
Cette année, quel est le pays d’origine numéro deux des migrants de la Manche? L’Inde. Encore une fois, c’est un pays qui n’est pas en guerre. Plus étonnant encore, c’est un pays qui propose à ses habitants beaucoup d’opportunités légales et sûres pour émigrer au Royaume Uni: le regroupement familial, les visas d’études qui se transforment en visas du travail, les emplois pour les hautement qualifiés… S’il y a deux pays en dehors de la zone Schengen entre lesquels la migration est fluide, c’est bien l’Inde et le Royaume Uni (où le premier ministre et la ministre de l’Intérieur sont d’ascendance indienne) ! Pourtant, des Indiens paient aux trafiquants des milliers d’euros pour pouvoir passer en Europe et sont prêts à payer d’autres sommes fortes pour traverser la Manche.
L’immigration est certes une question humanitaire, comme la tragédie récente nous l’a rappelé. Mais c’est aussi une question économique et criminelle. C’est même une question de psychologie humaine. Ce n’est pas par une solution simplement plus humanitaire qu’on réglera le problème de l’immigration clandestine. Une telle solution risque fort de l’empirer pour tout le monde. Sauf pour les passeurs.
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