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La grande évasion de Paul Melun

Il en est bien revenu de cette gauche méconnaissable, embourgeoisée et wokiste...


La grande évasion de Paul Melun
L'essayiste Paul Melun © Frédéric Menant

Nous avons lu le dernier livre de Paul Melun, Libérer la gauche (Éditions du Cerf, 2023), dans lequel le président de «Souverains demain !» et essayiste décide de réconcilier ses deux aïeules.


Un inventaire douloureux

Paul Melun est un idéaliste et, comme tout idéaliste qui se heurte au mur froid et implacable de la réalité, il a vécu un désenchantement qui le rend nostalgique. Tel Alfred de Musset et son mal du siècle, Paul Melun a mal à sa gauche et déroule les raisons de sa douleur dans cette confession où se côtoient anecdotes personnelles et analyse politique. Son nouvel essai, Libérer la gauche se lit comme une autobiographie et une rétrospective de ces trente dernières années. Mais si Paul Melun regarde dans le rétroviseur de l’histoire, c’est pour mieux mesurer le déclin du PS qui, auréolé de grandes espérances, notamment celle de changer la vie, a structuré la vie politique française, fait élire François Mitterrand pendant 14 ans, et finit par se réduire aujourd’hui à un micro parti satellitaire de l’union bigarrée de la Nupes dominée par LFI !

Paul Melun serait-il un mariniste qui s’ignore?

Itinéraire d’un enfant du peuple

On suit l’itinéraire de cet « enfant du peuple » comme il aime à le rappeler, issu de la classe ouvrière et paysanne, qui s’est fait tout seul par les voies de la méritocratie républicaine. Il intègre Sciences-Po Bordeaux, devient militant à l’UNEF puis au MJS, et, tombant de désillusion en désillusion finit par se détacher de ce socialisme au petit pied pour fonder son propre parti « Souverains demain », et dans la foulée, devenir chroniqueur habitué des plateaux de CNews.

Une gauche en rien populaire

Au fil des pages, le constat d’une gauche embourgeoisée qui verse dans le snobisme populophobe et moralisateur se dessine : « En négligeant les luttes traditionnelles du prolétariat ou de la ruralité au profit des combats sociétaux des bourgeois urbains, la nouvelle gauche s’est perdue » déplore-t-il non sans colère. Pour Paul Melun, l’un des responsables de cette gauche prolo devenue bobo c’est Jean-Luc Mélenchon, autrefois admiré et aujourd’hui vivement critiqué. Il fait partie des fossoyeurs de la « gauche populaire » qui a abandonné, sous la stratégie électoraliste terranovesque, le peuple des ouvriers et des employés, réfugiés chez la diablesse blonde, pour se tourner vers les minorités et les immigrés.

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À coup de formules lapidaires, Melun tacle cet avènement de la « néogauche » qui troque Proudhon contre Butler et veut imposer le triptyque infernal « déconstruction, islamo gauchisme, multiculturalisme » ; véritable dissolvant pour notre pays. En cela, le constat de Melun rejoint celui de François Pupponi qui écrit dans son dernier essai portant également sur cette gauche qui n’est plus que le fantôme d’elle-même : « cette néogauche s’empare de tout ce qui ruine le commun »…

Mais de quelle gauche mythique parle-t-il ?

Mais si cette « néogauche » n’est pas la gauche de Paul Melun, sa gauche, celle qu’il a vécue, celle qui l’a constitué, n’est pas la gauche non plus.

Paul Melun entretient avec la gauche un rapport quasi proustien. Sa gauche a été largement sublimée par des héros imaginaires, des grands hommes, des rencontres affectives et des nobles causes comme la défense du peuple et la lutte contre l’injustice. Dans son musée Grévin du socialisme à lui, il y a à la fois Rahan, Spartacus et Jaurès ! Or, comme la toupie du film de Nolan, Inception, qui si elle continue de tourner, prouve que les personnages sont encore coincés dans un rêve, Melun rêve encore d’une gauche qui n’existe plus.

Un ADN problématique

À le lire, on a l’impression que tout ce qui est charnel, affectif, ancré localement est de gauche. Or, c’est plutôt l’inverse. Contrairement à la droite qui s’est inscrite dans la continuité historique, enracinée dans la transmission et l’héritage du passé (mœurs et histoire communes), la gauche a plutôt versé dans l’universalisme abstrait. C’est elle qui, à la Révolution, a voulu faire table rase du passé et régénérer la société de l’Ancien Régime dans le mythe de l’homme nouveau sorti tout droit de la cuisse de la Terreur jacobine. Des Lumières aux dérives du droit-de-l-hommisme, elle a promu cette idée selon laquelle l’homme est un citoyen du monde, sans attache, un être abstrait et nu, dépouillé de ses habits de culture, sans racines. Peu importe d’où il vient, il n’est pas porteur d’une histoire qui l’aurait constitué. Cette gauche, plutôt jacobine que girondine, partage avec le capitalisme mondialisé et hors sol cette vision de l’homme abstrait, déraciné, fluide et souhaite détruire tout ce qui fait office d’héritage commun.

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Pourquoi un tel nihilisme ? La faute à son père spirituel, la faute à Rousseau comme dit la chanson, qui en expliquant que la société est structurellement source de corruption et que l’homme est bon par nature, place les premières pierres de l’édifice du structuralisme derridien et foucaldien, matrice conceptuelle du wokisme, qui postule que si « tout n’est que constructions sociales », alors tout peut être détruit. Paul Melun fait comme si cette gauche jacobine n’avait pas existé. Pour lui, seule compte la gauche ouvrière, celle qui est incarnée dans le réel de l’ancienne lutte des classes. Mais il sait bien que cette gauche-là a été avalée par la gauche abstraite, qu’il ne peut pas la libérer et qu’il n’y a plus qu’une chose à faire, c’est de se délivrer d’elle ! Au fond, sa confession sonne plus comme une conversion.

La délivrance par la souveraineté

Son émancipation se fera dans la création de son mouvement « Souverains demain » qui «  transcende les clivages gauche droite pour réunir ceux qui refusent que la France disparaisse ». Paul Melun n’est pas un enfant de la déconstruction – titre de son premier essai – mais il est l’héritier de ses pères, et de ses pairs, sources de repères comme dirait Lacan. Contrairement à ses contemporains, biberonnés à l’universalisme abstrait et au wokisme, il n’est pas dépossédé. Face aux armes de déconstruction massives de la néogauche, Paul Melun appelle à l’union sacrée des « souverainistes de gauche et de droite et d’ailleurs », pariant sur une entente féconde à l’image de ses deux grand-mères ; l’une paysanne, catholique et gaulliste, l’autre ouvrière et communiste, mais toutes les deux enracinées, et ayant le sens du partage et l’amour de la France…

Localisme contre mondialisme, souverainisme contre européisme, conservatisme contre progressisme : Paul Melun serait-il un mariniste qui s’ignore ?

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