Macron persiste à croire que l’économie revivifiée (en supposant qu’elle advienne) remettra la France d’aplomb, avec un zeste de « transition écologique » pour la galerie. C’est ne rien comprendre à la détresse qui mine notre vieille nation angoissée par sa survie.
Vexé comme un pou, il a balayé la remarque : « Je ne suis jamais méprisant ! » (TF1, 15 mai). Emmanuel Macron s’adore trop pour reconnaître ses failles. Elles le poussent à sa perte. Il a dit aussi (L’Opinion, ce même 15 mai) : « Le déni des réalités, c’est le carburant des extrêmes. » Très juste. Toutefois, son premier déni est de refuser d’admettre qu’il est devenu imbuvable. C’est du moins ce que disent des citoyens et des observateurs perplexes; j’en fais partie. La haine envers le chef d’État devient même hystérique : le voici grimé en Hitler sur des affiches, un 49.3 en guise de moustache. Cette répulsion est une blessure cruelle et injuste pour celui qui aime ceux qui l’aiment. Ce technocrate cérébral, fou de lui-même, n’est pas dénué d’empathie ni d’une gentillesse émotive : rien n’est plus humaine que son indignation devant les décérébrés qui ont tabassé l’autre jour, à Amiens, son petit-neveu, Jean-Baptiste Trogneux, ciblé pour son lien familial. Ces rustres ont exprimé l’air du temps, dans une détestation primaire. Cependant, dénoncer les caricatures et les violences n’est pas suffisant. Il faut comprendre les ressorts du rejet vomitif que Macron suscite.
L’explication ? Macron paie sa morgue. Son travers intime, qui déborde sur la lippe, est mimétiquement porté par son clan. La Macronie est la caricature d’une classe sociale déracinée, à l’aise dans la mondialisation pour les riches. Le président paie moins une « dérive autoritaire » (Charles de Courson), qu’une lâcheté dissimulée derrière l’autoritarisme des faibles. Le petit despote excelle dans l’évitement. Jupiter pour la galerie, il a laissé la violence légitime – celle de l’État – se faire humilier par la loi des plus fort : celle des voyous des cités diversitaires, dresseurs d’enfants sauvages, des casseurs des manifs syndicales, des djihadistes de la conquête territoriale, des minorités pleurnichardes. La violence politique, qui s’ajoute aux autres explosions dans une spirale apparemment irrépressible, répond à une pratique illibérale du pouvoir, mise au service des intérêts d’une caste accrochée à ses privilèges comme la bernique à son rocher. La réconciliation entre Macron et la France profonde, cette « classe moyenne » qu’il cherche à amadouer par des promesses de baisse d’impôts (2 milliards à l’horizon 2027), n’aura pas lieu.
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Le divorce est consommé. Le peuple maltraité est en état de légitime défense. L’argent public, que la Macronie est prête à distribuer pour acheter la paix, ne suffira pas à éteindre ses ressentiments. À peine ouvre-t-il la bouche pour protester, ce peuple révolté, qu’il devient « nauséabond » au nez sensible des néo-Versaillais sans manières, fascinés par les puissants industriels internationaux. Le big boss de la « start-up nation » a invité, dans le cadre de l’opération « Choose France », 200 des plus grands patrons du monde à souper chez Louis XIV, sans mesurer le décalage symbolique d’une telle réception. L’usage du 49.3, utilisé par le gouvernement pour empêcher un libre vote parlementaire sur la réforme des retraites, a été une violence démocratique dont Macron n’a pas fini d’avoir à rendre compte. La décision arbitraire de son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, le 12 mai, d’interdire des manifestations et des réunions soupçonnées de défendre des idées d’extrême droite ou d’ultra-droite, en laissant l’extrême gauche partir à l’assaut de la République, a aggravé la pente liberticide de la Macronie : elle confond l’hygiénisme sanitaire et les pensées aseptisées. Le choix de disperser d’autorité des migrants dans des bourgs et des campagnes est une autre manière de brutaliser continûment une société qui veut fuir une immigration fauteuse de troubles. Auditionné par le Sénat le 17 mai après un incendie criminel contre son domicile, le maire démissionnaire de Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), Yannick Morez, a expliqué que « l’État ne souhaitait pas informer les habitants » de sa décision de pérenniser un centre de migrants près d’une école, laissant à la mairie le soin d’appliquer la volonté de Paris.
Eh bien, non ! Ces manières de gouverner à la schlague ne sont pas des méthodes. Un président qui se prétend à l’écoute et affirme n’être jamais méprisant ne se comporte pas ainsi. Déjà, lors de ses vœux de décembre 2018, il avait accusé les gilets jaunes, cette insurrection de la France invisible, de s’en prendre « aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux juifs, aux étrangers, aux homosexuels », dans une affabulation destinée à flétrir la « foule haineuse » des braves gens. Innombrables ont été ses saillies pour salir les oubliés, coupables d’exiger le respect élémentaire de ceux d’en haut. C’est ainsi que le personnel soignant non vacciné, en première ligne et sans masque lors de la déferlante du Covid, a été ensuite répudié pour avoir refusé l’injection. Or, comme le rappelle le sociologue au CNRS Frédéric Pierru (Libération) : « Le soignant croquemitaine antivax est un fantasme. Leur rejet portait uniquement sur le vaccin anti-Covid […]. Ils ne voulaient pas devenir des cobayes. » L’avenir a montré qu’ils avaient bien raison.
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Macron, à rebours de ses démentis, a fait du déni sa marque de fabrique. Il persiste à croire que seule l’économie revivifiée remettra la France d’aplomb, avec un zeste de « transition écologique » pour la galerie. C’est ne rien comprendre à la détresse collective qui mine la vieille nation malmenée par ses dirigeants frivoles, angoissée par sa survie. Ce ne sont pas les gadgets démocratiques, comme ces grands et petits débats ou ces conventions citoyennes, qui retisseront les liens. Quand le président assure par exemple à propos de l’euthanasie, toujours content de lui : « Ce qu’on est en train de faire sur la fin de vie est un petit modèle d’innovation démocratique avec des citoyens », il se paie de mots, se moque du monde. Cette infantilisation des gens est une injure à l’intelligence collective. La seule innovation démocratique serait de banaliser le référendum afin de rendre la parole aux Français méprisés. Ils peuvent toujours attendre…