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Emmanuel Macron se lâche: plus rien à gagner…

Le billet politique de Philippe Bilger


Emmanuel Macron se lâche: plus rien à gagner…
Elisabeth Borne et Emmanuel Macron, Palais de l'Elysée, 18 avril 2023 © Stephanie Lecocq/AP/SIPA

Le président ne juge plus le Rassemblement national immoral, et le reconnait enfin comme un adversaire politique légitime. En blâmant Elisabeth Borne en Conseil de ministres, c’est lui-même qu’il blâme pour ses propos antérieurs et son inaction sur les questions régaliennes.


On dirait que le président de la République, ces derniers temps, cherche à rattraper le réalisme perdu. La macronie, qui fait feu de tout bois pour empêcher le débat sur la proposition de loi du groupe LIOT et a gagné le 31 mai dans des conditions discutables une bataille, n’est pas insensible à cette nouvelle inspiration présidentielle. Je n’ai jamais été celui qui – même hostile à Emmanuel Macron, notamment à cause de sa faiblesse régalienne, de sa mollesse sur le plan de l’autorité de l’Etat, de quelques-uns de ses mauvais choix ministériels et de son attitude publique parfois discutable quoique souvent courageuse – a dénié à sa personnalité des qualités et des singularités qui interdisent de l’appréhender sans nuance ni mesure. On peut tout dire de lui sauf qu’il est médiocre, critiquable oui, mais ce n’est pas le même discrédit.

Borne encaisse

Comment analyser autrement que comme des séances de rattrapage la volonté obstinée de complaire aux LR sur l’immigration ? la découverte subite mais tardive de l’ampleur de la fraude sociale, longtemps occultée par la fraude fiscale considérée à une certaine époque comme le sport national ? le recadrage brutal de la Première ministre après ses absurdes propos sur le RN « héritier de Pétain » ? Les deux premiers points prennent acte des réalités et d’un rapport de force qui fait des LR un groupe à choyer. L’importance du thème ne leur a jamais échappé. Nul besoin, sur ce plan, de les accuser d’être des copieurs du RN !

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Il est plus intéressant de relever comme, durant le Conseil des ministres du 30 mai, le président de la République, prenant prétexte d’une analyse politique sur l’Espagne, a sans équivoque, mais sans la regarder, sermonné Elisabeth Borne. En lui reprochant d’avoir usé « d’arguments moraux » contre le RN comme si tous ceux qui avaient voté pour lui acceptaient « d’être traités de fascistes ». Même courageux, il n’est pas un homme ou une femme politique qui, dans la situation d’Elisabeth Borne, aurait claqué la porte du Conseil ou répliqué vertement au président. La Première ministre a encaissé et probablement a compté sur un changement de perception d’Emmanuel Macron, une fois l’émoi médiatique dépassé.

Un président très en forme

Dans l’instant je n’ai pu m’empêcher d’admirer la lucidité masochiste du président puisque sa prise de position si pertinente était la dénonciation sans équivoque de ses déclarations antérieures et qu’au fond il se blâmait lui-même en blâmant la Première ministre. D’autant plus que la répudiation des « arguments moraux », confortables en eux-mêmes, se devait d’avoir pour conséquence la mise en œuvre d’une politique qui aurait effectivement fait baisser le RN notamment dans l’électorat populaire. On l’a attendue, espérée : elle n’est jamais venue. Il ne suffisait pas d’un Darmanin pour faire illusion ! Ce constat percutant, et tellement évident, du président, qui paraissait subtilement à la fois s’opposer au RN mais lui rendre justice en ne le taxant plus d’immoralité mais d’adversaire politique, était d’autant plus impressionnant qu’on devinait que les rapports entre les deux têtes de l’exécutif n’étaient plus au beau fixe s’ils l’avaient jamais été. Et le président non seulement ne minimisait pas le danger de LFI, comme Elisabeth Borne l’avait fait en le plaçant au second rang, mais semblait l’évaluer à sa juste et très inquiétante valeur.

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Lors de ce Conseil des ministres, le président, apparemment très en forme dans sa verve polémique, s’en prenait aux propos de Justine Triet à Cannes et à la proposition de l’un de ses anciens experts, Jean Pisani-Ferry, suggérant la création d’un impôt écologique.

Je suis caméléon !

Avec tout ce que je viens de décrire, on pouvait avoir l’impression que le président, plus du tout limité par le risque d’une prochaine élection, n’hésitait plus à aller franchement sur sa droite, pour peut-être sauver la mise à Nicolas Sarkozy dont le désir d’entente avec la macronie n’avait pas vraiment convaincu son camp ? Mais, une fois de plus, changement de cap. La Première ministre assure que le président lui a exprimé tout son soutien à la suite de ses propos et lui-même, en retour, a manifesté sa confiance à Elisabeth Borne. Il l’a recadrée puis il la choie. Ce qui démontre au moins qu’il ne parvient pas à trouver la bonne distance avec elle. En revanche, sur le RN, à Bratislava le président a développé, sur son registre de la morale inutile et de la politique nécessaire, une excellente analyse. Avec Emmanuel Macron, on ne sait plus sur quel pied, sur quel esprit danser !

Il donnait l’impression de se lâcher comme il n’avait plus rien à gagner mais à peine a-t-il endossé un habit qui plaît ici, qu’il s’en dépouille pour en mettre un autre qui plaira là. Comme si le langage présidentiel avait si peu d’importance qu’il pouvait se contredire sans dommage et sembler un jeu de l’esprit plus qu’une conviction de fond. Ce quinquennat a mal commencé. Comment finira-t-il ?




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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