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Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre…


Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre…
Sélestat, 19 avril 2023 © Ludovic Marin/AP/SIPA

Les paradoxes de la démocratie française


Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, dit un proverbe français. Ce vieux dicton, à voir cet entêtement mêlé d’orgueil dont l’actuel président de la République fait preuve ces jours derniers face à l’ampleur des manifestations populaires à l’encontre de la réforme des retraites, s’applique sans nul doute aujourd’hui, au premier chef (c’est le cas de le dire au vu de son incroyable pouvoir), à Emmanuel Macron. D’autant que cette fameuse réforme, qu’il a lui-même voulue, n’a guère été votée, au risque de se voir mise en minorité lors du suffrage parlementaire, par la principale institution démocratique du pays – l’Assemblée nationale – mais par ce passage en force, le désormais tristement célèbre « 49.3 », que permet, suprême subterfuge, la Constitution de la Ve République, édictée en grande partie, dans un contexte aussi particulier que celui de l’après Seconde Guerre mondiale et de l’instabilité chronique mais surtout paralysante de la IVe République, par un homme de la trempe du général de Gaulle.

Un déni de démocratie

D’où, nécessaire si l’on se veut intellectuellement honnête, cette question essentielle : comment qualifier une réforme à ce point impopulaire, mais surtout imposée aussi artificiellement, quelle que soit par ailleurs sa légalité constitutionnelle, sinon comme un déni de démocratie, au sens premier et étymologique du terme, puisque ce même mot de « démocratie » (dérivé du grec ancien, chez des philosophes tels que Platon ou Aristote, « démokratia ») signifie littéralement, à partir d’un binôme conceptuel et tout à la fois d’une combinaison sémantique (« dêmos » pour « peuple » et « kratos » pour « pouvoir),  « pouvoir du peuple » ?     

Légal sur le plan institutionnel, mais illégitime sur le plan démocratique

Ainsi arrive-t-il parfois que ce qui est légal sur le plan institutionnel, comme l’est en effet aujourd’hui ce fameux « 49.3 », ne s’avère guère pour autant légitime sur le plan démocratique, car privé, comme dans le cas présent justement, du consentement, par-delà même tout clivage politico-idéologique, du peuple ! Aussi est-ce cela, très précisément, qui manque le plus, aujourd’hui, à cette constitution française, laquelle, par ce trop récurrent recours à ce même « 49.3 »  lorsque la véritable représentation publique (le parlement) ne permet pas le vote d’une loi, sort ainsi du cadre proprement démocratique !

République : la chose publique (« res publica »)

Mais il y a pis encore, en ce qui concerne la République française. Car que signifie en réalité, si l’on regarde là aussi de plus près ce mot, le terme de « république » (dérivé du droit romain, comme chez Cicéron, avec la « res publica ») sinon, littéralement là encore, « chose publique (c’est là, « chose », ce que veut dire en effet étymologiquement le mot latin « res »)  ?

D’où, précisément, cet autre constat problématique, sinon tragique : est-on encore véritablement en « république » – ce mot dont se gausse tant le système politique français moderne et contemporain pour se distinguer de la vielle monarchie, et de droit divin de surcroît – lorsque ses lois se voient imposées à travers le seul recours légal, qu’il soit constitutionnel ou institutionnel, au détriment, pour le coup, de l’assentiment public, encore et toujours, pourtant seule vraie et légitime instance démocratique, en définitive, ainsi que l’atteste la signification même tant du mot « démocratie » que celui de « république » ?   

La Ve République : une crise de régime, plus encore que politique ou sociale

Ainsi, au vu de cette confusion linguistique entre les concepts de « légalité institutionnelle », certes garantie par la Constitution elle-même, et de « légitimité populaire » », est-ce la notion même de « démocratie » qui, en l’occurrence, se voit viciée, par ce recours aussi répétitif qu’excessif au « 49.3 », en France, donnant par là souvent l’impression, non sans raison, d’être une démocratie politique, voire oligarchique, bien plus qu’une démocratie sociale (mieux comprise sous l’expression de « social démocratie »).

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À cela, pour aggraver la situation, s’ajoute, renforcé par le comportement trop souvent méprisant, sinon autoritaire, de l’actuel président de la République, un autre et très sérieux problème, inhérent, celui-là, à l’essence même de la Ve République : le fait que celle-ci, née sur les glorieuses mais douloureuses cendres d’une Révolution française (1789) polluée de surcroît par de sanguinaires années de Terreur (1793-1794) puis deux Empires successifs (Napoléon Ier et Napoléon III) ainsi que quatre républiques balbutiantes, et, comme telle, inachevée tant sur les plans politique que social, s’apparente en réalité, de manière un peu bâtarde et donc forcément claudicante, à une monarchie républicaine, et même pas parlementaire (comme c’est le cas, par exemple, en Angleterre, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas ou en Scandinavie), bien plus qu’à une vraie république, correctement entendue.

D’où, précisément, ce sentiment, pour le peuple français en son ensemble, d’avoir affaire là, avec ce pouvoir tout puissant, quasi absolu, des présidents français en général, et d’Emmanuel Macron en particulier, à des « monarques républicains » : une sorte de compromis, quelquefois branlant comme aujourd’hui, entre l’ancien Régime et une République moderne !

Macron, ce monarque républicain, confondrait-il donc « res » (publica) ou même « lex » (la loi) avec « rex » (le roi) ?

C’est cela, très exactement, que vit ces jours-ci, avec cette autoritaire méthode de gouverner d’Emmanuel Macron, la France d’aujourd’hui : une crise de régime, bien plus encore qu’une crise politique ou sociale, et dont l’actuel, vaste et profond mouvement de protestation populaire n’est donc, par-delà même sa compréhensible contestation de cette réforme des retraites (qui n’en est, au fond, que l’explosif révélateur), que le symptôme le plus ponctuel, tangible et visible. Ce n’est là que la goutte qui, en suspens depuis trop longtemps déjà, fait déborder le vase !

Le roitelet est nu

Et le roitelet Macron, face à l’ampleur, parfois la violence, de ces contestations, est manifestement (c’est là aussi le cas de la dire) nu ! D’autant que, pour son second mandat, il aura finalement été élu, au second tour des présidentielles de 2022, par défaut, bien plus que par adhésion à son programme ou sa personne : à seule fin, en dernière analyse, d’éviter, moyennant un calcul purement électoral en termes de pourcentage, l’élection de Marine Le Pen en lui faisant barrage. 

J’en connais même plus d’un et plus d’une, surtout de gauche, qui, pour empêcher celle-ci d’accéder à la fonction suprême de l’État, ont voté, l’âme en peine et au prix d’un effort politique quasi surhumain, pour celui-là, trahissant ainsi, le plus souvent, leurs propres convictions idéologiques. C’est dire si Macron a été mal élu !

Bref, et en définitive : un Macron, président de la République, extrêmement bancal, sinon illégitime en profondeur, et au regard duquel ce ressentiment populaire, renforcé par une invraisemblable série de maladresses politiques de sa part et dont le 49.3 n’est que l’effet le plus ostensiblement dévastateur, s’exprime à présent, avec parfois une violence aux allures de revancharde frustration, aux quatre coins de l’Hexagone ! 

Un printanier parfum de mai 68

Entendons-nous : loin de moi la volonté de cautionner ces violences, éminemment condamnables. Mieux : expliquer une situation, en en comprenant intellectuellement les tenants et aboutissants, ne veut certes pas dire – la nuance conceptuelle est de taille – la justifier. Mais enfin : je suis arrivé à un âge, aujourd’hui, où je peux me permettre de dire, maintenant que les jeunes, et les étudiants en particulier, prennent aussi leur part de responsabilité dans cette bataille aux relents insurrectionnels, y compris à l’encontre du système tout entier et non seulement de la réforme des retraites (qui n’est que la pointe de l’iceberg, l’élément déclencheur d’un malaise croissant), qu’il y a ces jours-ci, dans les rues de Paris comme dans celles de bon nombre de villes de province, un printanier parfum de mai 68.

La sagesse de Victor Hugo

Je me souviens, à ce propos, d’un célèbre et très sage mot du grand Victor Hugo, prestigieux pair de France, au temps de la Commune : « Le plus excellent symbole du peuple, c’est le pavé. On lui marche dessus jusqu’à ce qu’il vous tombe sur la tête. »

À méditer de toute urgence, sans vouloir certes préjuger ici de l’avenir du pays, ces paroles hautement révolutionnaires, acclamées, en leur historique temps, par une foule en liesse, quoique toujours digne, et qui ressemblait précisément là, n’en déplaise à un certain Emmanuel Macron lors de l’une de ses dernières, démagogiques, péremptoires et même irrespectueuses saillies, à l’héroïque, voire romantique par certains de ses élans les plus idéalistes, peuple de France !

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Philosophe, écrivain, auteur d’une quarantaine de livres, directeur de l’ouvrage collectif, autour de 33 intellectuels majeurs, « L’humain au centre du monde – Pour un humanisme des temps présents et à venir. Contre les nouveaux obscurantismes » (Editions du Cerf).

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