L’anthropologue et historien du droit Pierre Legendre nous a quittés le 2 mars. Il laisse autant de pistes de réflexions que d’arguments à opposer à notre civilisation à la dérive. Son œuvre imposante, à rebours de la doxa, nous met en garde contre la reféodalisation du monde.
« Il faut du théâtre, des rites, des cérémonies d’écriture pour faire exister un État, lui donner forme, en faire une fiction animée […]. On n’a jamais vu, on ne verra jamais, une société vivre et se gouverner sans scénario fondateur, sans narrations totémiques, sans musiques, sans chorégraphies… sans préceptes et sans interdits[1]. » Pierre Legendre a vu le jour en 1930, en Normandie, et s’est éteint le 2 mars dernier. Il nous lègue un trésor intellectuel insigne, inexploré, irrecevable pour les héritiers de la bourdieuserie et autres Trissotin wokistes bas de plafond.
Un penseur majeur à l’écart des chapelles et de la doxa
Côté jardin (secret), fils d’imprimeur, curieux de tous les savoirs du monde, agrégé, grand couturier du droit, il avait le Moyen Âge et les manuscrits dans la peau. Il voyait Ce que l’Occident ne voit pas de l’Occident[2] : la sagesse d’Hampâté Bâ, l’exégèse rabbinique, la ritualité japonaise. L’œuvre savante convie Rimbaud, Borges, Ovide, Origène, ceux qui sentent le soufre. Son style baroque fait de condensations et d’ellipses joue de répétitions, digressions, creuse un sillon, envoûte comme du Péguy. La syntaxe est libre, poétique,
