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«Désordres»: Kropotkine et les horlogères


«Désordres»: Kropotkine et les horlogères
"Désordres", de Cyril Schäublin (2023) © Grandfilm

Dans un film à la précision presque documentaire, le cinéaste suisse Cyril Schäublin raconte la jeunesse de l’anarchiste Kropotkine. « Désordres », en salles depuis le 12 avril.


Ce qui a attiré mon attention vers Unrueh de Cyril Schäublin, cinéaste né en 1984 à Zurich, c’est qu’il y intègre un personnage ayant véritablement existé : l’anarchiste russe Pierre Kropotkine qui, au début des années 1870, voyagea dans le Jura en tant que géographe et y devint anarchiste pour le restant de ses jours.

Kropotkine écrivit plus tard un livre de souvenirs, Mémoires d’un révolutionnaire, qui est une merveille littéraire que j’ai lue autrefois, aux éditions Scala (1989). Comme l’écrivait la quatrième de couverture de cette version, ces Mémoires « nous permettent d’appréhender l’une des périodes capitales de l’histoire politique et sociale de l’Europe à la fin du XIXe siècle, quand la Russie des tsars laissait place à celle des révolutionnaires ». La personnalité même de Kropotkine y était un atout essentiel, avec sa gentillesse d’aristocrate (il était un vrai prince de la Russie impériale), ses connaissances scientifiques, son idéal politique jamais renié. Polyglotte, Kropotkine avait rédigé cet ouvrage directement en français.

1872, il était une fois dans le Jura suisse

Le film de Cyril Schäublin se passe en Suisse vers 1872, à l’époque où Kropotkine, encore tout jeune, y arriva. Mais il n’est ici qu’un personnage parmi d’autres, évoluant aux abords d’une horlogerie dans laquelle travaillent des jeunes femmes. Certaines d’entre elles sont déjà anarchistes, et seront renvoyées de la fabrique pour cette raison. Kropotkine tombera amoureux de l’une d’elles.

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La vie de cette époque nous est restituée par Cyril Schäublin avec une grande vérité, frôlant le documentaire. Horlogerie suisse oblige, il est beaucoup question de temps, ne serait-ce que pour mesurer la rentabilité des ouvrières au travail. Le réalisateur insiste également sur les premiers pas de la photographie, en montrant des prises de vue dont le temps d’exposition est chronométré, lui aussi, avec rigueur. Au milieu de ce monde nouveau, en évolution, les idées anarchistes naissent, et commencent à s’implanter dans ce beau Jura suisse, malgré l’inquiétude des autorités envers ce mouvement.

Cyril Schäublin a un vrai talent pour filmer le travail des horlogères. Sa mise en scène reste légère, presque improvisée. Désordres (ou, en allemand, Unrueh) est une œuvre attachante, qui montre pleinement l’intérêt du jeune réalisateur pour l’anarchisme. À notre époque, bien sûr, la théorie anarchiste, réduite à la marge extrême, ne fait plus florès. Kropotkine la décrivait sur plusieurs pages, dans ses Mémoires. Cyril Schäublin a réussi à retrouver cet esprit d’hier, pour nous en restituer le bien-fondé. Avec un Kropotkine, l’existence est tout de suite plus humaine.

Désordres (film franco-germano-russe de Cyril Schäublin). En salle.

Pierre Kropotkine, Mémoires d’un révolutionnaire (1898).

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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