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Les suspicions envers le Premier ministre de l’Écosse sont-elles fondées?

En tout cas, ce qui est certain, c'est que Humza Yousaf est le nouveau chouchou de l'UE


Les suspicions envers le Premier ministre de l’Écosse sont-elles fondées?
Le Premier ministre Ecossais Humza Yousaf, répond aux journalistes le 20 avril 2023. © Jane Barlow/AP/SIPA

Indépendantiste, européiste, multiculturaliste, et musulman, le nouveau Premier ministre de l’Écosse, Humza Yousaf, entend bien faire revenir, dans le giron de l’Union européenne, une Écosse indépendante et respectueuse des valeurs de l’islam, trois ans après le Brexit.


À 38 ans, Humza Yousaf, né à Glasgow, d’ascendance pakistanaise et ayant des liens dans le passé avec les Frères musulmans, a déjà occupé les postes de secrétaire à la Justice et de secrétaire à la Santé et à la protection sociale. Cela après avoir eu des portefeuilles au ministère de l’Europe et du développement international et au ministère du Transport et des îles. Lors de son mandat à la Santé, sa gestion de l’épidémie de covid a été vivement critiquée, mais cela ne l’a pas empêché de poursuivre son ascension politique fulgurante, grâce au soutien de ses mentors – les anciens Premiers ministres de l’Écosse, Alex Salmond et Nicola Sturgeon.

Le 28 mars 2023, il devient à son tour Premier ministre de l’Écosse après avoir remporté les élections pour la présidence du parti indépendantiste, le Scottish National Party (SNP), aux manettes à Edimbourg depuis 2007. Il gouverne désormais avec les écologistes au sein d’une coalition de centre-gauche. Dès son arrivée au pouvoir, il se présente comme « fier d’être Écossais et fier d’être Européen » et il déclare que « le peuple écossais a plus que jamais besoin d’indépendance, et nous serons la génération qui la lui offrira ».

Humza Yousaf, promoteur du « Scexit »

Dès 2011, Humza Yousaf a été élu membre du Parlement écossais sous l’étiquette du SNP. Ce parti, fondé en 1934, est devenu, avec le Parti conservateur et le Parti travailliste, l’un des trois grands partis siégeant au Parlement. Cette assemblée créée en 1999 résulte de la dévolution des pouvoirs accordée en 1997 par l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, à l’Écosse, à l’Irlande du Nord et au Pays de Galles.

Le SNP milite pour l’indépendance de l’Écosse : le « Scexit », à savoir la sécession de l’Écosse du Royaume-Uni (dont elle fait partie depuis 1707) et ce, en vue d’une adhésion du pays à l’Union européenne. Cette ligne politique est soutenue par Bruxelles. Elle est encouragée par exemple par le Mouvement européen en Écosse (European Movement in Scotland), placé lui-même sous la houlette du Mouvement européen international (MEI), une organisation-parapluie, financée par la Commission européenne qui promeut urbi et orbi l’idée d’intégration européenne.

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Ce qui n’est pas encore certain, c’est si l’Écosse serait obligée, en tant que nouvel État-membre de l’UE, d’entrer dans l’espace Schengen et d’adopter l’euro comme monnaie. Si oui, une « frontière dure » avec l’Angleterre serait érigée et des check-points seraient mis en place pour le contrôle des passeports et des marchandises.

Dès son élection, Humza Yousaf a réclamé la tenue d’un second référendum sur l’indépendance de l’Écosse, appelé « indyref2 ». Le premier référendum s’était tenu en septembre 2014 et avait été un échec pour les indépendantistes. Pour l’heure, la Cour suprême britannique s’est prononcée contre « indyref2 » et le Premier ministre britannique Rishi Sunak s’y est également opposé. Par ailleurs, le 13 avril, le ministre des Affaires étrangères britannique a condamné le fait que des ministres écossais du SNP utilisent leurs déplacements à l’étranger « pour promouvoir le séparatisme et saper les positions politiques du gouvernement britannique ».

Humza Yousaf, chantre du multiculturalisme…

Lors des élections législatives écossaises de 2011, Humza Yousaf avait déjà défrayé la chronique en prêtant le serment d’allégeance des députés au Monarque britannique à la fois en anglais et en ourdou, sa langue maternelle. Pour l’occasion, il était vêtu d’un étrange habit de cérémonie hybride composé d’un manteau masculin indo-pakistanais (le sherwani) et d’un tartan traditionnel écossais. Ce faisant, il s’était inscrit dans une optique communautariste parfaitement acceptée en Écosse, où les députés doivent d’abord prêter serment en anglais mais peuvent ensuite répéter le sermon dans une autre langue (au Parlement britannique à Westminster, le premier sermon doit se faire en anglais mais les députés qui veulent répéter le sermon dans une autre langue doivent se limiter au gaélique écossais, au gallois ou au cornique).

… et suspecté d’être un promoteur de l’islamisme

Dès son élection, le 29 mars, le nouveau Premier ministre écossais s’est affiché en famille dans sa résidence officielle de Charlotte Square (Bute House) à Edimbourg à l’occasion d’une prière islamique. Le 21 avril 2023, jour marquant la fin du Ramadan, il a publiquement souhaité aux musulmans d’Écosse et du monde entier une bonne cérémonie de l’Aïd el-Fitr. Au-delà de cet affichage qui, en France, ferait bondir les thuriféraires de la laïcité, le Premier ministre écossais a entretenu, au début de sa carrière politique, des liens avec l’islamisme qui ont été très peu évoqués par les médias au cours de la récente campagne pour la présidence du SNP, mais qui ont fait l’objet d’un résumé synthétique sur le site web Focus on Western Islamism. Cette carrière démarre dans la deuxième moitié des années 2000, lorsqu’il devient l’assistant de plusieurs cadres dirigeants du SNP. À ce moment-là, il dirige avec son cousin Osama Saeed la Scottish Islamic Foundation (SIF) et c’est dans ce contexte que, en 2008, il a organisé une rencontre entre le ministre de l’Europe, des affaires extérieures et de la culture et trois islamistes ayant des liens forts avec le Hamas et les Frères musulmans. D’ailleurs, entre 2008 et 2012, la SIF a reçu une subvention de 405 000 livres de la part du gouvernement indépendantiste. Élu député en 2011, Yousaf devient lui-même ministre de l’Europe et des affaires extérieures et accorde une subvention de 398 000 livres à Islamic Relief, l’une des plus grandes organisations caritatives islamistes au monde qui a des liens avec les Frères musulmans. L’antisémitisme de ses cadres dirigeants a été dénoncé par le département d’État américain en 2020. Avant son élection, Yousaf avait été porte-parole de cette organisation en Écosse. Son cousin Osama Saeed a appelé de ses vœux l’instauration d’un califat en 2005. En 2006, il a défendu publiquement celui qui allait devenir le chef d’Al-Qaida dans la péninsule arabique : Anwar Al-Awlaqi. En 2010, Saeed a quitté l’Écosse afin de travailler pour Al Jazeera au Qatar, pays avec lequel Yousaf aurait entretenu aussi des relations.

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Depuis, Yousaf a apparemment pris ses distances avec ces accointances et se présente aujourd’hui plutôt comme progressiste. Mais la loi contre les crimes de haine, très restrictive, qui a été promulguée par le gouvernement écossais quand il était secrétaire la Justice en 2020, a été vivement critiquée : selon certains, l’article portant sur la religion ressuscite le crime de blasphème, aboli il y a longtemps. Ainsi son progressisme wokiste, affiché dans sa défense acharnée de la loi écossaise facilitant les transitions de genre, n’est pas incompatible avec l’activisme islamique. Pendant la campagne pour être chef du SNP, il a affiché sa foi musulmane en admettant qu’elle n’était pas favorable au mariage gay, mais a prétendu que sa religion n’influerait pas sur son travail de législateur. Cela ne l’a pas empêché d’être élu. En revanche, les adhérents du SNP n’ont pas fait preuve de la même mansuétude envers sa rivale, Kate Forbes, ancienne secrétaire chargée des Finances, dont le christianisme traditionnel a été vivement censuré par les médias et militants wokistes.

Avec ses multiples facettes (indépendantiste, européiste et multiculturaliste), Humza Yousaf semble cocher les bonnes cases pour séduire les institutions européennes. Quant à ses inclinations islamistes potentielles, les tenants de l’intégration européenne à marche forcée s’en accommoderont probablement sans rechigner, si cela permet de faire avancer leur agenda. En effet, rien ne semble freiner l’entrisme islamiste dans les institutions européennes, comme en ont témoigné la campagne de promotion du voile islamique ou les récentes affaires de corruption impliquant le Qatar au Parlement européen.




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Analyste géopolitique (Russie, Turquie), auteur et spécialiste en relations internationales et en études stratégiques.

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