La fausse interview de Michael Schumacher via l’IA ne fait que révéler la forte tentation à la désinformation dans le milieu médiatique. Notre chroniqueur revient sur cette affaire, et sur les mésaventures oubliées d’un journaliste allemand qui avait décrit de façon caricaturale son prétendu séjour de quelques semaines dans une ville pro-Trump avant d’être lui aussi démasqué.
La tentation était trop forte pour la rédactrice en chef du magazine allemand Die Aktuelle, tirant à 200 000 exemplaires mensuellement, et l’intelligence artificielle a pu lui permettre d’assouvir sa folle envie. Le 15 avril, Anne Hoffmann a publié une interview du champion de Formule 1, Michael Schumacher, dont la famille ne donne que très peu de nouvelles depuis son accident de ski survenu en France fin 2013. Du moins, le magazine a titré en grand sur sa couverture « Michael Schumacher, la première interview », et a sous-titré « Cela sonne faussement vrai », une astuce pour se prémunir juridiquement, estime le site Über Medien qui observe outre-Rhin le travail des journalistes. Cela n’a pas suffi à lui éviter d’être licenciée, alors que la famille du pilote a décidé de porter plainte.
Après l’ère des fake news, l’ère de l’indécence
Si le recours à l’intelligence artificielle pour réaliser cette interview fait scandale, les faux entretiens, comme celui de Fidel Castro par PPDA, ou la création d’informations de toutes pièces, ne sont pas franchement une nouveauté.
Des lecteurs peu avertis, ou pressés de s’informer sur l’état de Schumacher, ont pu se laisser berner par la présentation de l’interview qui oscille entre mots prêtés à leur champion et précautions du magazine avec des mises en garde tournées de manière à ne pas dévoiler clairement la supercherie… On peut lire des phrases telles que « Dans une interview, il répond aux questions pour la première fois depuis son grave accident de ski. Mais est-ce vraiment notre Schumi qui parle ? », à côté de prétendues réponses du Baron rouge comme « Je vais beaucoup mieux aujourd’hui qu’il y a des années. Avec l’aide de mon équipe, je peux me tenir debout et même marcher quelques pas lentement. » Le faux entretien, d’une indécence totale, ne pouvait manquer d’être rapidement dévoilé, mais le plus important était de vendre du papier.
Contre Trump, des « erreurs honnêtes »
En revanche, de telles manipulations de l’information, visant à nuire, sont constatées ailleurs sans que des corrections ne soient toujours rapidement apportées. Et les conséquences peuvent être très importantes. Ainsi, l’affaire du Russiagate qui a pourri la moitié du mandat de Donald Trump. En décembre 2016, le Washington Post avait affirmé que Donald Trump avait été élu grâce à l’aide des Russes et disait tenir l’information de la CIA qui avait nié. Pourtant, les médias ont ensuite entretenu ce récit d’une forte suspicion de collusion entre Trump et Poutine. La présentatrice vedette de MSNBC, Rachel Maddow, avait même feint de se retenir de pleurer en apprenant que le rapport du procureur Robert Mueller ne retenait rien contre Trump.
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En 2019, Newsweek avait publié un article intitulé « Comment Trump passe-t-il Thanksgiving ? En tweetant, en jouant au golf et plus encore. » Problème, Jessica Kwong, chargée du suivi de la famille Trump, avait tout faux ! Le président volait vers la base militaire de Bagram, et le voyage avait été tenu secret le plus longtemps possible pour des raisons de sécurité. Newsweek a ensuite modifié l’article et l’a intitulé: « Comment Trump passe-t-il Thanksgiving ? En tweetant, en jouant au golf – en surprenant les soldats américains en Afghanistan ». Licenciée, Kwong a déclaré sur Twitter que son récit était une « erreur honnête ».
Quand un Allemand inventait totalement des informations pour nuire à Trump
En 2018, Claas Relotius, journaliste du Spiegel et titulaire de quatre Deutscher Reporterpreis, équivalents allemands du Pulitzer, était également tombé après une enquête acharnée de l’un de ses collègues, lequel avait remarqué des invraisemblances dans plusieurs de ses articles.
Relotius avait notamment décrit son séjour au milieu d’une petite ville de l’Amérique rurale, en 2017, dans un article rempli de clichés et intitulé « Là, où ils prient pour Trump le dimanche ». Le Spiegel avait demandé à ce journaliste vedette d’écrire sur Fergus Falls, et d’y louer un appartement pour la durée de son enquête. Première erreur, le journaliste avait fait passer dans son article le score de Trump dans cette ville de 62,6% à 70,4% – afin de la rendre plus inquiétante, vraisemblement, du moins selon les standards libéraux du média allemand. Après avoir découvert son reportage, deux habitants de la ville avaient par ailleurs écrit un article sur Medium, pour dénoncer les invraisemblances – affirmant n’en retenir que les 11 plus énormes ! Relotius avait notamment mis l’administrateur de la ville, Andrew Bremseth, au centre de son article, prétendant qu’il portait un Beretta 9 mm sur lui au travail alors qu’il n’en possédait pas, qu’il méprisait l’idée d’une femme présidente, qu’il avait dit que Trump « botterait des fesses », qu’il était fan des New England Patriots, qu’il n’avait jamais eu de relation avec une femme ou n’avait jamais vu l’océan. Un tissu de mensonges. Tout comme les prétendues trois portes blindées et le détecteur d’armes du lycée de la ville, ou la « soirée de l’Ouest » dédiée à la danse country connue de Relotius seul. Malheureusement, cet article caricatural n’était que l’un des nombreux chefs-d’œuvre totalement bidonnés par le célèbre journaliste.
Il est en fait à craindre que le recours à l’IA pour créer des informations fausses vraisemblables ne fasse qu’accentuer ces pratiques témoignant d’un manque de déontologie, qu’il s’agisse de mensonges par invention ou du choix de ne pas traiter les informations quand elles ne correspondent pas au récit attendu.