En lançant la « quenelle épaulée » il y a quinze ans, Dieudonné a revigoré un antisémitisme fourbe, grossier et ricaneur. Ses adeptes ont un nouveau symbole de ralliement, une question: « Qui ? »
Le racisme antijuif n’a pas attendu l’apparition de la quenelle dieudonniste pour s’inventer des signes de reconnaissance plus ou moins opaques. Dans les années 1970, le bandit Albert Spaggiari avait par exemple, de son propre aveu, baptisé sa bergerie des hauteurs de Nice « Les Oies sauvages », en hommage à l’un des chants préférés de la SS. Toute la mesquinerie résidant dans l’ambiguïté du terme, qu’il serait évidemment absurde de taxer de pronazi à chaque emploi.
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De même, on accorde le bénéfice du doute aux Gilets jaunes et aux adolescents rebelles qui se font prendre en photo en pratiquant une quenelle, eux assurant qu’il s’agit d’un simple symbole antisystème. À toutes fins utiles, signalons cependant à nos lecteurs que ce geste peut constituer, selon les circonstances, une infraction judiciaire. Surtout, l’innocence présumée des gogos n’excuse pas Dieudonné, parfaitement conscient d’avoir créé, avec cette gestuelle aussi facile à accomplir que vulgaire, une nouvelle insulte antisémite (« L’idée de glisser ma petite quenelle dans le fond du fion du sionisme est un projet qui me reste très cher », déclarait-il en 2009 à Libération).
La quenelle est ainsi devenue un « mème » des réseaux sociaux, une bonne blague prisée des nostalgiques du IIIe Reich comme des islamistes, objet de défis filmés, de divers T-shirts longtemps en vente sur le site officiel de Dieudonné, d’un chant parodique et même d’un festival annuel, dont la 15e édition est annoncée pour le 11 avril prochain.
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Mais les modes passent et c’est désormais l’expression « Qui ? » que l’on voit se répandre de message en message. Pour comprendre l’intention antisémite associée par certains à cette banale question, il faut remonter à un échange télévisé entre le général à la retraite Dominique Delawarde et le publicitaire Claude Posternak diffusé sur CNews le 18 juin 2021 et arbitré par Jean-Marc Morandini :
– Qui contrôle le Washington Post ? lance Delawarde à Posternak. Qui contrôle le New York Times ? Qui contrôle chez nous BFM TV et tous les journaux qui viennent se grouper autour ?
– Oui, qui ? objecte alors son interlocuteur.
– Pardon ? demande l’ancien officier.
– Qui ? relance Posternak.
– La communauté que vous connaissez bien ! finit par lâcher Delawarde, ne laissant aucun doute quant à ce qu’il n’ose dire, mais pense très fort.
À la suite de l’émission, le hashtag #Qui est devenu rapidement un code antisémite pour désigner le peuple honni. Avant de vite faire son apparition sur les pancartes de diverses manifestations contre le passe sanitaire, une frange des covido-sceptiques étant persuadée qu’un nouveau Protocole des sages de Sion est à l’œuvre dans l’épidémie. Depuis, quelques « Qui ? » brandis en public sans équivoque ont été condamnés par les tribunaux, par exemple six mois de prison avec sursis à Metz en 2021, trois mois avec sursis à Compiègne l’année suivante. Mais pour l’heure, ni T-shirt, ni mug, ni porte-clés ne sont à signaler. Preuve que Dieudonné reste, à certains égards, indépassable.