Accueil Édition Abonné Avril 2023 La révolution, les urnes et la rue

La révolution, les urnes et la rue

« Ah Dieu ! que la guerre est jolie Avec ses chants, ses longs loisirs. »


La révolution, les urnes et la rue
Emmanuel de Waresquiel © Photo: Hannah Assouline

La crise profonde que nous vivons n’est pas inédite dans notre histoire. Elle témoigne même d’une longue « tradition » héritée de 1789: la guerre de légitimité entre le peuple et ses gouvernants. Et notre culture privilégiant l’affrontement à la négociation, la politique se fait aussi dans la rue. Nos dirigeants devraient s’en souvenir.


Apollinaire aimait la guerre et son souvenir, comme nous avons la nostalgie des grandes manifestations de notre enfance. Celles d’aujourd’hui sont trop proches pour être poétiques. Je me souviens de ma déception d’avoir été envoyé à 8 ans en Angleterre. C’était en mai 1968. Les écoles étaient en grève et mes parents y avaient vu l’opportunité de m’y faire apprendre les langues étrangères. J’ânonnais celle de Shakespeare quand en France mes petits amis étaient en vacances. Je trouvais cela injuste. Plus tard, je me suis rattrapé. Ah ! les belles manifestations de ma jeunesse, celles contre les lois Savary sur l’université et les grandes écoles en mai 1983, celles de 1986, trois ans plus tard, contre le projet de loi Devaquet. Je n’avais jamais entendu parler de l’un ni de l’autre, je me fichais comme de l’an quarante de ce qu’ils nous voulaient. Ils avaient mis les étudiants dans la rue et c’était comme une grande récréation, des jours d’école buissonnière entre deux cours, à déambuler narines ouvertes le long des grands boulevards. J’étais jeune, il faisait beau, les filles étaient jolies. Elles avaient la démarche légère et mon âme l’était aussi.

Je n’ai repensé à tout cela que bien plus tard et un peu par hasard, au musée d’Orsay, devant un tableau d’André Devambez peint en 1902, l’un de ses plus célèbres, intitulé La Charge. Il représente en une sorte de plongée nocturne hallucinée, un bout du boulevard Montmartre à l’époque des réclames et des premiers réverbères électriques. Le long d’un trottoir animé, un cordon de policier charge un groupe de manifestants réfugiés en une masse confuse et noire dans le bas du tableau. Entre les deux, on ne voit que l’espace lumineux de l’asphalte. Un immense vide.

Ce tableau-là est comme une allégorie de toute notre histoire depuis la Révolution. Il n’y a pas


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Avril 2023 – Causeur #111

Article extrait du Magazine Causeur




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Historien et essayiste, dernier livre paru : "Sept jours, 17-12 juin 1789. La France entre en révolution", Tallandier, 2020

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