L’avocat est mort à l’âge de 65 ans. Il avait été hospitalisé, le 24 février, après avoir éprouvé une douleur au cœur lors des obsèques de Pierre Haïk. Le souvenir de Philippe Bilger.
Les meilleurs partent et laissent la Justice et la morale orphelines. Jean-Louis Pelletier il y a quelques mois, Pierre Haïk il y a peu puis Hervé Temime le 10 avril, l’émotion née du décès du deuxième n’ayant pas été sans incidence sur la mort du dernier. Je n’ai jamais appartenu au premier cercle des amis en quelque sorte historiques d’Hervé Temime, qu’une complicité des origines, de la durée des fraternités professionnelles et humaines, des expériences et des bonheurs partagés réunissait. Pour ceux qui comme moi avaient été liés à lui principalement grâce à une même passion pour les joutes judiciaires et l’art de la conviction et du verbe, il n’était jamais dans l’exhibitionnisme du sentiment mais en même temps, quand il était sûr de votre attachement, son amitié à lui, roide mais si solide, ne vous manquait jamais. Ce n’était pas lui qui aurait, quand on avait besoin de son aura et de son talent, fait passer avant, des opportunités de carrière et des frilosités clientélistes. Il était immédiatement présent et acceptait même de n’être pas le premier de cordée.
Intelligence et profondeur
Quand poursuivi par Philippe Courroye pour certains extraits du Mur des cons j’ai eu l’honneur d’être défendu par deux cracks du barreau, François Saint-Pierre principalement et Hervé Temime en brillant complément, ce dernier n’a pas hésité une seconde à assumer ce rôle. Et le tribunal correctionnel de Lyon, grâce à eux deux, m’a relaxé.
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Le 22 novembre 2013, il a été le premier avocat – et ce choix était indiscutable – à se soumettre à mon questionnement (« Bilger les soumet à la question« , vidéo ci-dessous) et a été confirmé alors ce que je savais de lui, l’admiration que j’éprouvais pour son esprit, son intelligence, sa profondeur, la qualité de son argumentation d’une honnêteté scrupuleuse et d’une justesse absolue.
J’aimais chez lui, fond et forme confondus, la maîtrise de son indignation jamais libérée de manière insultante, la finesse de ses analyses et de ses dénonciations qui par exemple ne le conduisaient jamais à s’abandonner à la facilité de condamnations globales, que ce soit à l’encontre de la magistrature ou pour d’autres causes qui lui tenaient à cœur. En particulier le respect de la présomption d’innocence et la détestation des médiatisations vulgaires seulement inspirées par le narcissisme. Paradoxalement, quelques années plus tard, une étrange preuve de son amitié m’a été donnée quand lors d’un procès criminel à Paris, pour une affaire gravissime, il a interrompu trop vite sa plaidoirie et qu’il m’a avoué après que notre lien personnel l’avait gêné. Son client avait été condamné alors qu’il plaidait l’acquittement. En appel, à Créteil, on m’a dit qu’il avait été éblouissant durant trois heures et il avait obtenu ce que la cour d’assises lui avait refusé à Paris. Entre ces moments forts, je me souviens de rencontres où un jour il m’a demandé mon avis sur un dossier qui le préoccupait. Je me rappelle aussi quelques trop rares dîners où il demeurait le même que dans son existence judiciaire, chaleureux, enthousiaste, lucide, sans complaisance mais jamais gangrené par ce vice qui atteint les familiers de la chose criminelle et de la Justice pénale en général: le relativisme, la désinvolture, presque le cynisme.
Un ténor du barreau, un vrai
J’évoque des dîners « trop rares » parce que la vie amicale est ainsi faite, pour une nature comme la mienne, que mon empressement, mon impatience à cultiver, à fréquenter certains êtres que j’ai élus paradoxalement les éloignaient de moi. Comme si leur pudeur se rétractait à proportion de mon envie relationnelle. Hervé Temime était à mon égard clairement de ceux-là. Ce n’était pas pour rien que je sentais cette dilection à la fois professionnelle et humaine. Me touchait, au-delà de tout, la certitude, chez Hervé Temime, d’une rectitude morale, d’une intégrité non négociable qui le plaçaient au plus haut degré de mon admiration judiciaire car j’ai toujours considéré qu’il n’existe pas de très grand avocat sans l’obligation à respecter d’une indépassable exemplarité. Hervé Temime devenu avocat si jeune, si précocement, dans l’arbitrage à faire sans cesse entre ce qu’on doit et ce qu’on peut, n’a jamais trahi, ne s’est jamais trahi.
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J’ai perçu comme une véritable offense à l’égard des compétences et des talents irréprochables – les siens, oui – la propension médiatique à mélanger le bon grain avec l’ivraie et à qualifier de ténor n’importe quel conseil venu subrepticement dans la lumière ou totalement dénué, sinon de talent, du moins de moralité. Le terme qui me vient le plus naturellement du monde pour célébrer Hervé Temime qui va tant manquer et à tant de gens si différents les uns des autres, qui va priver une institution de son rayonnement à la fois exaltant et critique, est celui de respect. Henri Leclerc, Thierry Herzog, Jacqueline Laffont, Eric Dupond-Moretti (s’il revient vers ce pour quoi il est fait) demeurent heureusement, en matière pénale, mais nul doute qu’une immense place est vide à leur côté. Mon cher Hervé, la tragédie de ta disparition m’autorise les élans du cœur: je vais te regretter infiniment.
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