Veuillez rendre l’âme (à qui elle appartient).
Qu’est-ce qu’une révolution ? Pour le commun comme pour le professeur au Collège de France en passant par la figure centrale de notre temps, à savoir le journaliste, c’est en somme un mouvement social qui dégénère. On nous l’a appris à l’école et, plus encore, à l’université. On nous le répète à la télé, où professeurs de gauche, éditorialistes de gauche, politiciens de gauche et humoristes de gauche « débattent » afin de savoir si la France devrait être plus ou beaucoup plus à gauche. Nous ne pensons pas cela par hasard : depuis plus d’un siècle, partout en Occident et singulièrement en France, les intellectuels et les historiens en premier lieu l’affirment. 89 ? Le pain manquait. Les jacqueries ? À cause de la famine. À Rome aussi, et même en Grèce, déjà, la lutte des classes était la mèche qui déclenchait des révolutions. Les guerres ? Pareil. Pas plus que les hommes les évènements ne font l’histoire ; pour comprendre cette dernière, il ne faut regarder que l’économie, les structures de l’économie, la répartition du capital. Bien sûr, l’influence du socialisme et du marxisme est ici décisive. Mais celle du libéralisme l’est aussi. Leurs finalités divergent, mais ces trois écoles partagent les mêmes postulats anthropo-philosophiques: elles réduisent l’homme à ses conditions d’existence, et son salut passe par son émancipation. Le fait religieux, la politique, tout n’est que prétexte. L’histoire du monde n’est en vérité que celle du social.
Une analyse globale du monde
C’est là l’unique grille de lecture des élites. La brutalisation de la société française ? La faute à la précarité. Le djihadisme ? C’est à cause de « l’apartheid » territorial et économique dont les jeunes sont victimes. Le féminisme nous explique que les femmes sont d’abord dominées – elles doivent donc se libérer, car nul ne désire être esclave – économiquement. L’immigration africaine massive, d’une ampleur inédite, qui s’abat sur l’Europe ? Encore l’économie, puisqu’il est entendu que l’Afrique est « pillée » par l’Occident. Le « climat » ? L’économie aussi, qui détruit les biotopes. L’économie, l’économie, l’économie… C’est rassurant, l’économie. Il suffit au Pouvoir de lâcher des thunes, d’abandonner une réforme pour « apaiser » la société, retrouver la concorde.
Les gilets jaunes – oui, encore eux, toujours eux, du moins ceux de novembre, dont j’étais et que je salue fraternellement une nouvelle fois – avaient des revendications politiques et sociales. Les premières – RIC, proportionnelle, vrais débats sur l’immigration et « la construction européenne » – furent rapidement évacuées par les commentateurs : elles étaient au mieux « démagogiques », au pire « factieuses ». En fait, assénaient les observateurs, il s’agissait bien d’un mouvement social. Il fallait discuter du maximum des prix. En lâchant du lest sur ce dernier point, en aidant les gueux illettrés à payer leur loyer, leurs pleins de gasoil et leurs clopes, le Pouvoir allait « sortir de la crise » – la « crise » est d’ailleurs toujours économique, bien sûr – « le pouvoir d’achat » sera toujours « la première préoccupation des Français ». Mélenchon avait, lui, bien compris qu’il ne s’agissait pas d’un simple mouvement social, et c’est pourquoi il avait, dans un premier temps, non seulement refusé de soutenir les gilets jaunes mais les avait en plus insultés. Cependant, alors qu’elle observait ces hordes de « souchiens » en train de manifester, chaque week-end, dans les beaux quartiers de Paris, la gauche – la médiatique, la politique, la culturelle – entreprit de reprendre à son compte ce mouvement d’autant plus beau qu’il était spontané. Et, bien sûr, armée comme elle l’était, elle parvint à s’imposer en tête des cortèges, où personne ne l’avait invitée. Dès décembre, les drapeaux de nos vieilles provinces cédèrent la place au rouge ; les pancartes réclamant le RIC et refusant le Pacte de Marrakech furent remplacées par d’autres, stupides imitations de celles, débiles, de 68 ; les antifas, ces petits bourgeois intouchables – intouchables parce que petits bourgeois –, firent le ménage parmi les manifestants, suivis par de molles cohortes de fonctionnaires socialo-communistes à la retraite. Les gilets jaunes sont morts ainsi, du fait de cette « récupération » à la fois permise, elle, et même encouragée par un Système qui avait, évidemment, tout intérêt à affronter l’adversaire social, qu’il connaît bien, qu’il sait calmer, plutôt que celui, totalement inédit, qui incarnait une idée infiniment plus grande, à savoir celle de la continuation, c’est-à-dire celle des siècles justement.
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Entendons-nous bien : ce n’est pas rien, un mouvement social. Nos mouvements sociaux s’inscrivent d’ailleurs dans une tradition propre à notre civilisation. On peut faire leur généalogie philosophique. Il ne pourrait pas y avoir de communisme sans socialisme et de socialisme sans libéralisme, qui est la matrice de la ou plutôt de notre modernité. Et le libéralisme est un enfant – contrefait – du christianisme – on pourrait le définir comme un libre arbitre sans Dieu, c’est-à-dire sans morale. (Il n’y a pas de mouvement authentiquement social en dehors de la civilisation chrétienne. Il y a eu, et il y aura toujours, pour sûr, des socialistes arabes, des communistes hindous ou taoïstes, des partageux attachés à toutes des religions, mais il s’agit d’individus, de groupes tout au plus. C’est d’abord en cela que le socialo-communisme est une arnaque, un mensonge éhonté, lui qui affirme que, partout à travers le monde – orgueilleuse échelle qu’il partage avec le libéralisme –, et faisant fi de tous les déterminismes – la religion étant bien sûr le premier – les hommes sont animés par les mêmes passions, désirent les mêmes choses, sont faits du même bois et poursuivent le même idéal. D’ailleurs, les hommes, ça n’existe pas : il y a un Homme, et c’est le même à Paris, Berlin, Bamako, Djakarta, Manille, Alger, Montevideo. La célèbre formule de Maistre est renversée : notre modernité nie les nationalités, et avec elles les cultures, les identités, les idéaux, mœurs et coutumes qui y sont liés.)
La réforme des retraites n’est pas le sujet qui devrait mobiliser prioritairement les Français
Soit, c’est donc important, le social. La réforme des retraites, qui occupe l’intégralité de notre vie politique et, plus encore, médiatique depuis deux mois, est inique, en effet, et il est donc sain de s’y opposer comme le font, dans la rue, tant de Français et, selon les sondages, l’immense majorité de nos compatriotes. Au reste, ce n’est certainement pas le plus important. D’un modèle économique, on peut toujours sortir ; même les pays qui ont hélas connu la dictature communiste – et tout prouve que le communisme est forcément dictatorial –, dont les fondements ont été constamment violentés par les soviets, sont parvenus, après la chute de l’URSS, à reprendre le fil de leur histoire – non sans d’inguérissables blessures, certes, tant le communisme a, partout, méthodiquement détruit, et pour se jeter ensuite, malheureusement, dans les bras de l’Amérique et ses « valeurs » – la mondialisation n’est jamais que l’autre nom de l’américanisation du monde, son alignement sur le modèle américain. L’économie ne modifie pas l’essence des nations. L’immigration et le transhumanisme, eux, le font, et ils sont justement en train de le faire en ce moment en Occident.
Que la gauche se « mobilise », comme elle aime à dire – elle qui n’est que « lutte », « combat », « mobilisation », « engagement » – contre la réforme des retraites, c’est logique. Que la droite, ce zombie idéologique, tortille des fesses, c’est dans sa nature. Mais que l’extrême droite, c’est-à-dire les patriotes, le fasse aussi, et aussi massivement, voilà qui dépasse l’entendement. Des patriotes qui le font par calcul, dans l’espoir de provoquer le chaos, je peux l’entendre, car il est certain que seul un événement pourra sauver la France, et l’Europe – il ne faut rien attendre des urnes, bourrées par le Système. La majorité des patriotes arpentent sincèrement les rues, cela dit. Bill Gates, Elon Musk, Jeff Bezos, tous les milliardaires-laborantins qui s’amusent actuellement avec les peuples, les hommes, les femmes, la biologie, cela n’intéresse pas les droitards. Et l’immigration ? Oh, oui, ils en parlent, ils en ont même plein la bouche, mais lorsqu’il s’agit de manifester contre elle, de risquer de prendre une tarte ou à tout le moins une bombe lacrymo, il n’y a (presque) plus personne. C’est pitié, révoltant que de voir tant des nôtres défiler contre la loi portée par Dussopt et Borne.
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J’écris moi-même beaucoup, notamment ici, sur l’immigration. Parce que je pense qu’à court terme, elle est bien sûr la principale menace qui plane sur la France et, plus largement, l’Occident – malgré sa vaillante résistance, même l’Europe de l’Est commence, sur les injonctions de l’Union européenne, Soros et Netflix, à « s’ouvrir » aux inépuisables richesses de la « diversité ». L’islamisme est une menace mortelle, et plus il gagne de terrain, plus nos élites se vautrent dans le déni, n’hésitant pas, par exemple, à accabler l’extrême droite après chaque attentat islamiste. Par-delà l’idéologie, c’est la démographie qui tranche : si rien ne change en la matière, d’ici deux générations tout au plus, l’Europe de l’Ouest sera majoritairement peuplée de musulmans. Et mon petit doigt me dit que, après s’être servis de notre fameux Etat de droit, c’est-à-dire de juges abusant systématiquement de leur pouvoir, et de la « convergence des luttes » prônée par les gauchistes, les islamistes imposeront un droit fort différent de celui que nous connaissons et jetteront les gauchistes dans la Seine – comme ils l’ont fait partout où cette alliance a déjà eu lieu, par exemple en Iran. Mais à moyen et long termes, le transhumanisme est un danger infiniment plus grave. Les deux phénomènes sont d’ailleurs liés ; immigration africaine massive et continue et transhumanisme s’inscrivent tous deux dans la même conception de l’Homme réduit à de la matière humaine. La « convergence des luttes », qui fait rire au premier abord, consacre en fait cette dialectique mortifère. Elle peut également être stratégique : nul doute que certains progressistes utilisent l’islam, son orgueil et sa violence ataviques, comme un bélier pour briser tout ce qui, chez nous, en nous, s’oppose au pathétique individualisme dont ils sont les champions.
Résistance du bon sens
Selon les sondages, donc, au moins 70% des Français s’opposent à la réforme des retraites. C’est exactement la même proportion de Français qui, quand on les interroge sur ce point, réclament un arrêt total de l’immigration non-européenne, l’expulsion des clandestins et des délinquants étrangers. Dans le premier cas, on le voit bien, le Pouvoir « l’entend » à tout le moins ; dans le second, on ne le constate qu’un peu, et seulement dans les urnes et Twitter, et ce même Pouvoir s’en désole en brodant sur les-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire. Et il est certain que, si on demandait aux Français leur avis sur les lois dites sociétales, et sur la « transition de genre », c’est-à-dire le changement de sexe, et sur l’interruption médicale de grossesse (IMG), et même sur l’euthanasie, du moins celle des adolescents, et sur l’intelligence artificielle (IA), dont les récents progrès ont peu intéressé les « sachants » alors même que l’IA nous fait entrer dans rien de moins qu’une nouvelle ère, un paradigme parfaitement nouveau et terrifiant, une immense majorité d’entre eux s’opposerait aussi frontalement. Le Progrès est toujours une avant-garde ; quoiqu’il en dise, il est donc par définition fâché avec la démocratie. Face à la résistance du bon sens, c’est-à-dire des principes moraux les plus élémentaires, il s’embarrasse d’ailleurs de moins en moins de ce que pensent « les autres », qui sont au reste un « enfer » selon l’affreuse formule de l’un de leurs maîtres à penser, Sartre – c’est à se demander, d’ailleurs, si l’on se place sur un autre plan, celui de la psychologie, si l’hystérie progressiste – et le féminisme en particulier – ne cherche pas, dans l’islam, un sauveur à travers la virilité qu’il manifeste et assume et qui, seule, peut justement calmer l’hystérie – Charcot et Freud ne diront pas le contraire.
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Bien sûr, la gauche a bien manigancé. Ultra-minoritaire dans le peuple mais hégémonique au sommet, elle a bâti un sidérant appareil juridique afin de punir la simple critique des préceptes qu’elle impose avec la sévérité d’une professeure de maths « célibattante » militant à la Ligue des droits de l’homme ! Elle étend sans cesse l’acception des mots dont elle habille le débat public. Refuser l’immigration ? Du racisme. Etre contre le mariage gay ? De l’homophobie. Des lois toujours plus dures viennent frapper ceux qui sentent bien que le Progrès nous mène d’abord à la dépossession, ensuite à la disparition, enfin au néant. Je n’ignore pas cela, mais j’aimerais que les patriotes se bougent – ce qui n’est pas évident quand on se dit de droite et qu’on cultive, médiocrement, un individualisme qui n’a au fond rien à envier à celui de nos adversaires politiques – davantage contre chacune de ces lois scélérates, à l’instar de celle, en cours, sur l’euthanasie ou celle, passée complétement inaperçue alors qu’elle est purement criminelle, sur l’IMG. Où sont les appels ? Les manifestes ? Les marches ?
Dieu fasse que, bientôt, enfin, des millions, des dizaines de millions de Français et d’Européens manifestent dans les rues de tout le continent pour reprendre la civilisation qu’on leur a volée et cette âme que d’aucuns, qui ne savent du reste faire que cela, vendent par pans entiers.
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