Les néo-féministes exigent, soit une récriture mutilante des œuvres du passé pour en expurger tout ce qui peut offenser les « minorités », soit une réinterprétation qui projette sur ces œuvres les critères moraux de notre époque. Comme une nuée de criquets pèlerins, cette idéologie assujettit la littérature à une visée militante. Malheureusement, les jeunes d’aujourd’hui, intellectuellement amoindris par une école en faillite, sont faciles à endoctriner.
On constate, désolée, que la polémique suscitée par « L’Oaristys» ou « l’Affaire Chénier » n’était malheureusement qu’un prélude à la bouffée délirante qui semble gagner la gent féminine. Ce poème de Chénier, figurant en 2017 au programme de l’agrégation, avait plongé les préparationnaires dans une insondable perplexité. C’est pourquoi l’association féministe de l’ENS Lyon, nommée facétieusement « Les Salopettes », s’était résolue, si j’ose dire, à prendre les choses en main. Pour ce faire, elle avait relayé une lettre ouverte, écrite par des « agrégatif.ve.s » de Lettres modernes et classiques, adressée au jurys des concours. Les « auteur.rice.s » de la missive demandaient des clarifications sur la manière d’aborder un texte dans lequel «iels » avaient identifié une indubitable scène de viol. Lâches, les birbes qui sévissent encore dans les jurys des concours de Lettres s’étaient réfugiés dans le silence.
Que de chemin parcouru depuis ! L’affaire Weinstein a secoué le monde entier et maintenant Jennifer Tamas convoque le Grand Siècle pour qu’on n’oublie jamais que « non » est un mot magique. Mme Tamas, agrégée de Lettres modernes qui enseigne la littérature française de l’Ancien Régime à Rutgers University (New Jersey) aux États-Unis nous donne un brillant essai. Intitulé Au non des femmes, cet ouvrage, que Philip Roth aurait sans doute aimé préfacer, se propose de « Libérer nos classiques du regard masculin ».
A bas l’interprétation patriarcale !
La quatrième de couverture, une fois n’est pas coutume, révèle assez précisément les… dessous de l’affaire : « Sous les images de princesses endormies célébrées par l’industrie du divertissement, se cachent de puissants refus occultés par des siècles d’interprétation patriarcale ». Ce sont ces refus que Jennifer Tamas propose d’exhumer « avec courage et subtilité ». Elle « traque l’expression du féminin sous le regard masculin et tend savamment l’oreille vers le bruissement des voix récalcitrantes. Conviant les figures dissidentes des siècles anciens, du Petit Chaperon rouge à Bérénice, elle vivifie le discours féministe et trouve chez Marilyn Monroe le secret d’Hélène de Troie. Elle révèle ainsi, non sans un brin d’irrévérence, un magnifique matrimoine, trop longtemps séquestré dans les forteresses universitaires ».
En parcourant ce livre, on a le sentiment d’assister, en toute impuissance, à la défloraison d’une nuée de drosophiles. Le message celé dans les Contes de fées nous est enfin révélé, prenons par exemple « La Belle et la Bête » : « La Bête est l’être fragile, celui qui meurt d’attendre, celui qui est rendu à la vie par l’amour. La Belle, quant à elle, incarne le personnage fort. […] C’est même elle qui finit par demander la bête en mariage ! La logique du consentement sexuel n’expose-t-elle pas justement la fragilité masculine en fortifiant la femme ? » On apprend également qu’Andromaque et Bérénice ont su dire « non », on découvre que madame de Merteuil n’est pas complètement mauvaise. On voit aussi que la Princesse de Clèves a su évincer Monsieur de Nemours comme Nicolas Sarkozy.
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Cette lecture nous permet d’explorer une faille spatio-temporelle où Virginie Despentes et Mona Chollet devisent avec Euripide et Racine ; où Hélène de Troie est Vanessa Springora mais aussi Marilyn Monroe. Jennifer Tamas déploie impitoyablement une connaissance encyclopédique de la littérature et du cinéma pour nous entraîner dans un monde où tout est dans tout et réciproquement. On touche, et c’est sans doute le but recherché, à la confusion des genres, on retourne enfin au magma originel. Alors, comme Maupassant : « On se sent écrasé sous le sentiment de l’éternelle misère de tout ».
Ce livre satisfait chez son « autrice » un besoin viscéral de penser le monde et de l’appréhender en tant que femme : « J’aurais aimé qu’on m’apprenne la littérature autrement, qu’on me fasse découvrir les œuvres des femmes, qu’on m’explique à travers le prisme du féminin les contes et les fables […] Cet essai aspire à donner à chacun et à chacune le pouvoir de repenser l’histoire littéraire à travers le refus féminin, non pour abolir le passé, mais pour le sortir de l’invisibilité ».
La possédée conclut ainsi son ouvrage : « L’enseignement de la littérature ne doit plus perpétuer les stéréotypes de genre auxquels on l’a réduite. C’est en nous réappropriant les modèles à travers cette archéologie des refus féminins et en renouant avec les autrices oubliées que nous cesserons de « rêver nos vies à travers les rêves des hommes », comme le déplorait Simone de Beauvoir. Je souhaite donc ardemment que nous reconquérions et que nous regardions nos classiques autrement ». Cette dame, on s’en inquiète, n’est pas seule à tenir salon et à agiter une plume qui féconde la sottise.
Ça déferle
Le dernier numéro de la revue trimestrielle La Déferlante, se définissant comme « un média engagé et indépendant », « créé et dirigé par des femmes » pour « penser l’époque au prisme du genre et analyser la société dans une perspective féministe » nous explique, dans un article consacré au « féminisme dans les amphis », que le tsunami se prépare. Après le programme PRESAGE (Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre) lancé par Sciences Po Paris, et l’ouverture, en 2019, à l’université Panthéon Sorbonne du Master Études sur le genre, on nous confie que les parcours d’études se multiplient : « Sur son site internet, l’Institut du genre, un réseau d’enseignement supérieur et de recherche interdisciplinaire qui vise à fédérer les études françaises sur le genre et les sexualités, recense une quinzaine de masters existants, axés aussi bien sur les sciences sociales (de la sociologie à l’histoire, en passant par la science politique et la psychologie) que sur les humanités (littérature, arts, cinéma) ou encore les sports ». Assurément, on va boire le bouillon.
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La Déferlante, qu’on s’est prise, on l’avoue, en pleine gueule, ne propose que des articles « disruptifs » : « En finir avec le patriarcat peut-il sauver la planète ? », « Au cœur des cellules d’enquête sur les violences sexuelles dans les partis de gauche », ou encore « À quand un césar non genré de la meilleure interprétation ? ». Cette revue, créée en mars 2021, dit « compter aujourd’hui plus de 8000 abonné.es et chaque trimestre vendre 6000 exemplaires en librairie ». Elle lance maintenant sa maison d’édition. Le changement sociétal est, on le déplore, de toute évidence, en marche… Du reste Marie Barbier, Lucie Geffroy, Emmanuelle Josse et Marion Pillas, cofondatrices et rédactrices en chef, rapportent les propos prophétiques que Virginie Despentes tint dans leurs pages, à l’automne dernier : « Il va se passer quelque chose, et ça sera collectif ».
Je ne suis même plus sûre de trouver amusant l’entretien proposé par le magazine entre les deux représentantes de ce féminisme inquiétant que sont la députée Rachel Kéké et l’actrice Corinne Masiero. L’éclairage qu’apporte l’échange sur l’atrophie des cerveaux s’avère, tout compte fait, insoutenable.
Corinne Masiero : Est-ce que tu as rencontré personnellement des gens de droite et d’extrême droite avec qui tu as eu un début de conversation ?
Rachel Kéké : Parfois, au restaurant […] Je pense qu’il faut parler avec eux pour comprendre. Il faut lutter contre le racisme par l’éducation. Il faut parler pour les amener à la raison. Je les appelle « les perdus ». Ils ne connaissent pas leur histoire. Ils ont besoin d’aide, en fait.
Nous aussi, je crois.
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