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Jusqu’à ces derniers mois, je ne connaissais de la quenelle que celles qui se mangent, avec ou sans sauce Nantua.

Enfin Dieudonné vint, et par lui la quenelle devint un signe d’engagement politique. « Protestataire », dit le supposé humoriste. « Anti-système », prétend cette grande courge d’Anelka — j’adore les libertaires multi-millionnaires.

Non : la « quenelle » est un signe nazi réprimé (à l’origine, le geste est une répression du salut hitlérien, comme on le voit dans le Docteur Folamour de Kubrick)

Pour ceux qui douteraient encore, la mise en situation dudit geste est éloquente. On ne fait pas de quenelle en faisant la queue chez l’épicier : on en fait devant les monuments aux morts de la Shoah, on en fait dans les camps d’extermination, partout où le souvenir des six millions de Juifs anéantis par l’idéologie de la « race supérieure » — celle à laquelle appartient Dieudonné M’Bala M’Bala, certainement — est encore vivace.

Comme le dit Emilie Frèche dans une tribune du Monde : non, ce n’est pas un geste « anti-système » — et le fait même que certains le revendiquent donne juste la mesure de leur hypocrisie.

Le problème, c’est qu’un geste diffusé en circuit interne par un histrion, dès qu’on lui offre des tribunes en le censurant et en l’interdisant (ce qui, dans la Société du spectacle, revient à lui donner une visibilité supplémentaire) est repris en masse par des gosses à tête creuse. Ce ne sont plus quelques fachos qui en remettent une couche : ce sont des cohortes d’élèves, saisissant l’opportunité de la photo de classe.

« Ouf, nous n’avons pas été sanctionnés » ont-ils tous crié en chœur en descendant du bureau du proviseur, tout à l’heure, devant l’entrée du lycée Monge de Chambéry. A 15 heures, ce vendredi 15 novembre, 7 lycéens ont été convoqués par le chef d’établissement pour s’expliquer de leur geste : sur leur photo de classe ils ont fait « la quenelle ». Pendant 10 minutes le proviseur leur a reproché la portée antisémite de ce geste », explique le journaliste du Dauphiné. Et de conclure : « Aucune sanction n’a été prononcée. »

Du coup, ils sont imités un peu partout. Bravo aux administratifs qui par leur laxisme encouragent tacitement l’expression de la Bêtise et de la Haine.
Oh, comme je reconnais bien là le courage de l’institution scolaire ! Du coup, les sept jeunes imbéciles de ce bac pro électro-technique se sentent « fiers d’avoir fait réagir la hiérarchie ». Lesdits élèves auraient dû être sanctionnés, et durement, pour apologie de crimes contre l’humanité — tout comme Dieudonné est régulièrement condamné pour injures à caractère raciste, ce qui pourrait paraître paradoxal pour un homme qui en 2007 apportait son soutien au CRAN, mais qui ne l’est pas, apparemment,  aux yeux de tous ceux qui viennent à ses spectacles, Africains musulmans, islamistes voilées, petits fascistes qui seraient blonds s’ils ne se rasaient pas le crâne. Le public de Dieudonné est à la fois varié et monocolor – dans les bruns.

Valls avait-il raison de faire interdire les spectacles somme toute confidentiels de Dieudonné ? C’est lui donner une audience qu’il n’osait espérer. Alors, une raison plus tordue peut-être ? Ma foi, je serais tenté d’y voir (comme dans la publication, sur le site du Premier Ministre, de ce rapport décoiffant sur l’intégration, le mois dernier) une poussette au FN, dont le PS espère, de toute évidence, qu’il sera sa planche de salut aux élections prochaines et, surtout, en 2017. En cristallisant l’extrême, en réalisant en quelque sorte la bi-polarisation Gauche / Extrême droite dont avait rêvé Patrick Buisson pour Sarkozy (une stratégie qui a fait long feu), il se positionne comme le recours à la bête immonde, qui s’est appelée Le Pen dans les années 80, lorsque Mitterrand a réinventé à son profit la politique du pire, et qui prend aujourd’hui l’apparence bouffie d’un type dont on devrait exiger, avant tout, comme le signale le Canard enchaîné de cette semaine, qu’il paie ses amendes et rende des comptes à la justice fiscale. Mais il serait trop simple de se contenter d’appliquer la loi : on en invente une autre spécialement pour lui.
Ce faisant, on en fait une victime, et il a beau jeu de  s’inviter sur YouTube pour mettre en scène le calvaire que lui fait vivre aujourd’hui le gouvernement — pauvre Christ recrucifié qui a la douleur d’apparaître à chaque bulletin d’information depuis dix jours.

Au passage, Dieudonné devrait être salué par Israël : il est parvenu à faire de l’antisionisme, qui peut avoir ses raisons, un synonyme de l’antisémitisme, qui n’a que des déraisons. Et salué par tous les pédagogues mous qui organisent des débats sur ce pauvre clown au lieu d’apprendre à leurs élèves que toutes les opinions ne se valent pas.

On se rappelle la Vague, le film d’Alexander Grasshoff inspiré de l’expérience de Ron Jones au lycée Cubberley de Palo Alto en 1967. Un signe cabalistique quelconque, même s’il n’est pas un signe de reconnaissance hitlérien au départ — ce qu’est la quenelle — finit forcément par devenir un salut fasciste. L’embrigadement commence au signe de reconnaissance, à la certitude d’être membre d’un groupe à part, en butte (forcément !) à l’hostilité de tous les autres. Alors, quand on s’en prend au leader d’un tel mouvement, comment s’étonner que les têtes creuses finissent par penser qu’il est un prophète ?

PS. Quant à l’origine du mot dans la bouche de Dieudonné, c’est apparemment une déclaration pleine de tact de l’humoriste :   « L’idée de glisser ma petite quenelle dans le fion du sionisme est un projet qui me reste très cher ». « Glisser une quenelle », en argot, c’est sodomiser. Ma foi, on apprend au passage que celle de Dieudonné n’est pas bien grosse. Allez savoir si ceci n’explique pas cela.

*Photo: SEBASTIEN SALOM-GOMIS/SIPA. 00671141_000001.

 



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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