On connaît le poids très important des réseaux sociaux dans le façonnement des débats publics dans les sociétés libres comme les États-Unis ou la France. Leur poids est encore plus grand dans la République islamique où la presse libre n’existe pas… L’ensemble de la société civile dissidente n’a pas d’autres canaux que «les réseaux».
Pour rappel, le nombre de journalistes étrangers est très limité, car ils sont rarement admis et quand ils le sont, c’est à condition d’être accompagnés par les traducteurs locaux (fixeurs) dont les habilitations sont délivrées par les autorités iraniennes. Autant dire qu’ils sont surveillés de près.
Dans cette bataille de communication, la République Islamique emploie une « armée cyber », une structure dont le nombre d’agents est estimé entre deux et trois mille et qui dépendent de la cellule de Renseignements des Gardiens de la Révolution. Or, pendant les premiers mois qui ont suivi la désastreuse arrestation de Mahsa Amini en septembre dernier, son décès en détention quelques jours plus tard et le vaste mouvement populaire de contestation que la mort de la jeune femme a déclenché, le régime des Mollahs était complètement hors-jeu dans la bataille de la communication, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Une nation adepte des VPN
Même aujourd’hui, le régime n’arrive toujours pas à contrôler le cyber environnement national. Les applications locales ne fonctionnent pas et tout un écosystème de VPN permet aux activistes de contourner le système de surveillance, afin de rester connecté et de continuer à diffuser de l’information.
Ayant perdu la bataille, le régime essaie de gagner la guerre et s’y emploie en déployant deux stratégies visant à museler l’information.
Le premier volet est technologique : finaliser son réseau d’intranet local comme en Chine, et empêcher l’accès à l’internet d’une manière globale. Des projets importants sont en cours, à la fois pour le déploiement du réseau physique et pour assurer ensuite sa protection matérielle contre des opérations de sabotage.
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La finalisation de l’intranet iranien fermé sonnera le glas de la diffusion de l’information non contrôlée. Pour le contourner, il sera nécessaire d’avoir recours à du matériel type Star Link pour continuer d’avoir accès à l’internet. Or, Star Link, comme tout autre accès direct à l’internet satellitaire est bien entendu interdit par l’Iran et de surcroît très cher. Dès lors, son coût d’acquisition et sa rareté réduiraient extrêmement l’accès à l’internet libre ; raison pour laquelle et afin de compléter la boîte à outils dans le domaine du cyber, l’Iran se tourne également vers la Russie.
Le Wall Street Journal en date du 27 mars a publié un article divulguant que la Russie, en échange de la coopération militaire de l’Iran, va livrer à ce dernier un dispositif avancé de cyberguerre offensif. Ce dispositif permettrait au régime d’accroître sa surveillance et de mener des attaques contre les intérêts occidentaux et bien sûr israéliens.
La Russie et l’Iran avaient déjà signé il y a deux ans un accord de coopération pour la défense cyber, mais jusqu’à aujourd’hui la Russie était réticente à livrer les dispositifs les plus avancés dont elle disposait. Avec ce renforcement de la coopération, un seuil sera franchi dans la capacité de nuisance intérieure et extérieure de l’Iran. Interrogé suite à la parution de cet article, Vedant Patel, le vice porte-parole du département d’État américain, a fait part de l’inquiétude de l’administration américaine face à ces nouvelles capacités offensives iraniennes.
Intox et deep fake
Le deuxième volet est psychologique. Il s’agit de pratiquer une politique de la terre brûlée et de semer le doute parmi les utilisateurs de réseaux sociaux par des campagnes d’intox et de deep fake. Autrement dit, rendre l’information si peu fiable que les internautes ne pourraient plus jamais faire confiance à quiconque s’abritant derrière un pseudo. Des trolls, prétendant être des monarchistes, sont déjà utilisés pour semer la zizanie au sein de la coalition des forces d’opposition formée autour de Reza Pahlavi, laquelle compte des personnalités publiques et politiques diverses comme le prix Nobel de la Paix Shirine Ebadi et un parti kurde fédéraliste.
Afin d’illustrer la stratégie de sape de la confiance des internautes, prenons le cas de la nouvelle de l’assassinat du juge Ghassem Salavati. C’est l’un des plus importants juges de la cour d’appel de Téhéran chargé par le régime de prononcer de nombreuses condamnations à mort des opposants, une mission qui lui a fait gagner le surnom de « Juge de la Mort ».
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En décembre dernier, le compte Twitter de « Jupiter », chef d’un grand réseau de maquisards, annonce l’assassinat du juge. Un autre compte Twitter, tenu par l’activiste iranien Shahriar Shams, dément immédiatement cet assassinat sans avancer de preuves. Certains internautes soupçonnent Shahriar Shams, en liberté, mais sous la surveillance du régime, d’avoir cédé au contre renseignement du régime. D’autres accusent « Jupiter » d’avoir publié de fausses informations. Le compte Twitter de @Jupiter_rad_2 a même été suspendu suite à un nombre très important de signalements, ce qui laisse supposer une campagne orchestrée. Le compte est désormais restauré et vérifié avec le fameux symbole bleu. Quant au principal concerné, le juge Salavati, il n’a tenu aucune audience publique et n’est apparu dans aucun événement public, y compris à l’occasion de l’anniversaire de la République islamique d’Iran, le 11 février. Seule une photo d’une très basse définition, publiée dans la presse locale, sert de preuve de vie largement insuffisante. On ne sait donc toujours pas avec certitude si le juge de la mort est toujours en vie. Inutile de préciser que le démenti officiel du régime ne vaut ni le papier ni l’encre qui ont servi à sa rédaction…
Twitter pris d’assaut par les trolls
D’autres mouvements politiques se cachent derrière des comptes populaires et ont aussi investi la twittosphère iranienne. C’est notamment le cas des indépendantistes kurdes et du groupuscule marxiste islamique (si si ça existe !), le MEK. Ces comptes populaires ne se revendiquent évidemment pas officiellement de ces groupuscules. Ils jouent cependant un rôle néfaste sur la coalition et l’union de la dissidence iranienne autour de Reza Pahlavi.
Deux comptes viennent d’être démasqués. L’identité et la motivation réelle de leur plume ont été divulguées, et cela a confirmé les soupçons des internautes et la nécessité de se méfier d’un potentiel cheval de Troie.
La stratégie du doute permanent semble être efficace. Les trolls et les avatars, qui y trouvent un espace propice à leur action, s’immiscent dans les commentaires des internautes, ce qui a pour résultat que les leaders d’opinion (les influenceurs politiques) se retrouvent à s’accuser mutuellement d’être à la solde du régime. Ces tensions affaiblissent, bien sûr, les mouvements contestataires et profitent donc au régime en place.