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«La Coupe d’un monde nouveau» de Richard Coudrais et Bruno Colombari (Solar, 2022)


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D.R.

Un livre récent de Richard Coudrais et Bruno Colombari revient sur la Coupe du Monde de 1982 où des Français romantiques perdirent contre ce qui était encore la RFA.


Alors qu’une Coupe du monde se profilait, Richard Coudrais et Bruno Colombari revenaient quarante ans en arrière et publiaient l’automne dernier un ouvrage chez Solar sur l’édition 1982, sous-titré La Coupe d’un monde nouveau. Le premier anime le site Le Footichiste, le deuxième est rédacteur en chef du site Chroniques bleues. Pendant l’année des deux confinements, les décès de Michel Hidalgo, de Paolo Rossi et de Diego Maradona les plongent dans la nostalgie et les décident à revenir sur l’épopée d’España 82. Les auteurs ne négligent aucun aspect : les maillots, les ballons, la mascotte, les modes de consommation du football, le contexte international et la variété des climats espagnols.    

De 16 à 24 équipes

1982. La guerre froide n’en a plus que pour sept ans. On pourrait s’imaginer en connaissant la fin de l’histoire que l’affrontement entre les deux blocs s’essouffle et que l’on est sur le point de connaitre un dénouement heureux. Pourtant, avec la crise des Pershing, l’Europe vit au début des années 80 un dernier moment de tensions aigues avant l’effondrement du rideau de fer. Coincée entre les Jeux olympiques de Moscou 1980 et les Jeux de Los Angeles de 1984, la Coupe du monde espagnole échappe aux menaces de boycott, peut-être parce qu’en ce temps-là, les Etats-Unis n’en ont pas grand-chose à faire du soccer. Le football est à cette époque d’abord une affaire européenne et latino-américaine, même si en passant de 16 à 24 équipes, la Coupe du monde s’élargit et voit de nouvelles sélections s’inviter: l’Algérie, le Cameroun, le Koweït, la Nouvelle-Zélande. Pour autant, le football n’est pas encore le jeu archi-mondialisé qu’il est devenu. Les joueurs jouent pour l’essentiel dans leur pays.


L’arrêt Bosman n’existe pas encore ; les pays de l’Est empêchent le départ de leurs joueurs avant leurs 30 ans. Le Polonais Zbigniew Boniek (seulement âgé de 26 ans mais qui a obtenu une dérogation) et le Français Michel Platini s’apprêtent à rejoindre la Juventus tandis que Diego Maradona vient de signer au FC Barcelone. Il y a le cas un peu à part d’Osvaldo Ardiles, joueur argentin qui évolue à Londres… alors qu’éclate la guerre des Malouines. En ces temps-là, les Allemands ne jouent pas encore comme des Espagnols et les Français comme des Italiens, les footballs restent marqués par des stéréotypes nationaux prononcés. Interrogé, Richard Coudrais nous précise : « En effet, la majorité des effectifs est composée de joueurs évoluant dans les championnats de leurs pays respectifs. Souvent par choix du sélectionneur car il y avait déjà beaucoup de joueurs sud-américains évoluant dans le championnat d’Espagne, par exemple, ou de Yougoslaves en France et en Allemagne. En sélectionnant les joueurs du pays, les sélectionneurs pouvaient les emmener dans des stages de préparation de longue durée, pouvant aller jusqu’à quatre mois comme avec l’Argentine. C’est au lendemain du Mundial 1982 que les meilleurs joueurs brésiliens et argentins ont commencé à débarquer en Europe, et notamment en Italie qui venait de rouvrir ses frontières et attirait les meilleurs joueurs du monde. Sur ce plan, oui, la Coupe du monde 1982 était encore une Coupe du passé, avec des équipes aux caractéristiques précises. Le basculement a eu lieu plus tard ».

A relire, Philippe David: Michel Hidalgo: une histoire de larmes…

Manquent à l’appel l’Uruguay, le Mexique, le Portugal et surtout les Pays-Bas, finalistes des deux dernières éditions. L’Espagne, désignée organisatrice de la compétition en 1966, sous le Général Franco, est devenue entre-temps une jeune démocratie, trainant encore une image un peu archaïque et pourtant en pleine Movida. Les clubs espagnols ne sont plus au sommet du football européen depuis un moment, le championnat est dominé par les clubs basques au jeu rugueux.

La sélection accède au second tour malgré un nul contre le Honduras et une défaite contre l’Irlande du Nord. Les quatre équipes qui accèdent aux demi-finales ont elles aussi raté leur entame : la France prend un but dans les premières secondes contre l’Angleterre à Bilbao, la RFA se fait surprendre par l’Algérie à Gijón, la Pologne n’est flamboyante que 20 minutes contre le Pérou et l’Italie s’en sort in extremis après trois piètres matchs nuls.

À la pointe de son attaque, Paolo Rossi, sans rythme et sans match joué pendant deux ans à cause d’une suspension. On ne donne pas cher de la peau de la Squadra quand elle se retrouve au tour suivant dans la poule du Brésil de Zico et de l’Argentine de Maradona. Ce dernier va sentir sur sa nuque le souffle de son adversaire du jour Claudio Gentile le mal nommé, surnommé « le Libyen » (il est né à Tripoli), arborant une moustache épaisse à la Domenech. « Coups de pied dans les tibias, maillot agrippé à pleines mains, coups de coude dans l’estomac, intimidations verbales, tout y passe ». L’Italie l’emporte 2-1.

Ce mondial est riche en matchs et moments cultes : le frère de l’émir du Koweït rentrant sur la pelouse pour faire annuler un but contre la France, les joueurs ouest-allemands et autrichiens levant le pied pour éliminer l’Algérie lors du « match de la honte » (même si les auteurs nuancent l’ampleur de l’ « arrangement »)… Deux matchs surtout vont offrir une totale opposition de style : Brésil-Italie lors de la deuxième phase de poule et France-RFA en demi-finale. Dans le premier cas, les Brésiliens, pas vraiment conscients qu’un match nul leur suffirait, se laissent porter par leur romantisme, et malgré un grand match, perdent finalement 3-2, avec un triplé de Rossi. Les Français, menant 3-1 au tout début des prolongations, se font finalement rejoindre par des Allemands.

france allemagne seville 1982

Cauchemar à Séville

L’image d’Harald Schumacher fonçant en pleine figure de Patrick Battiston et le laissant groggy sans recevoir ne serait-ce qu’un carton jaune est resté dans tous les esprits français. Entre l’équipe du Brésil et celle de France, beaucoup de points communs : deux équipes qui « ont joué dans un esprit offensif quasiment sans filet, persuadé[e]s que la supériorité technique de leur milieu de terrain pouvait masquer l’inefficacité des attaquants, la médiocrité du gardien de but, la détresse des défenseurs parfois livrés à eux-mêmes ». C’est en effet à force de bricolage que Michel Hidalgo est parvenu à trouver la formule de son carré magique : Tigana, Giresse, Genghini, Platini, même si ce dernier, souffrant d’une pubalgie, n’a jamais été au sommet de sa forme durant la compétition. On se dit quand même que si le sélectionneur avait fait jouer le rugueux René Girard, il y avait peut-être moyen d’arrêter Rummenigge à défaut d’abattre Clausewitz. Richard Coudrais nous sort de nos rêveries : « La défaite a été tellement difficile à accepter que l’on a toujours voulu rejouer ce match, refaire son histoire, imaginer un scénario alternatif qui aurait favorisé les Français. Mais les faits sont là : les Allemands ont été les plus forts, ils ont su tirer profit des circonstances alors qu’ils étaient au plus mal. A partir de là, on peut aussi imaginer que quelle que soit la configuration du match, ils auraient fini par l’emporter ».

En finale, on retrouve donc l’Italie et la RFA, deux équipes qui se sont signalées par leur réalisme. En 1982, la série Dallas et le cynisme de J.R. cartonnent et le néo-libéralisme triomphe un peu partout en Occident. Et si ces défaites du Brésil et de la France contre l’Italie et l’Allemagne symbolisaient le basculement des années 80 dans le culte du résultat en lieu et place du romantisme des décennies précédentes ? « Pourquoi pas ? On dit souvent du football qu’il est le miroir de la société, et cet exemple peut en être une illustration. Mais ce n’est pas la première fois que le romantisme se heurte au cynisme en Coupe du monde. En 1974, le football total des Hollandais s’est planté face au rouleau compresseur allemand. 20 ans plus tôt, en 1954, c’est la merveilleuse équipe de Hongrie qui se rate également contre les Allemands ». Les Italiens l’emportent (3-1). Si les Français avaient accédé à la finale, auraient-ils pu rivaliser contre le réalisme transalpin ? « Le football fiction ouvre la voie à tous les scénarios possibles. On peut penser que la fatigue aurait handicapé les Français s’ils avaient joué la finale contre les Italiens. Mais sur le plan tactique, Hidalgo avait le goût de l’audace contrairement au conservateur Bearzot. Cela aurait pu être payant. Mais on peut inventer toutes les histoires que l’on veut, on n’enlèvera jamais leur titre mondial aux Italiens ».

La Coupe d’un monde nouveau de Richard Coudrais et Bruno Colombari (Solar)

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