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Des « Grandes espérances » à la grande déception

La BBC désacralise un classique de Dickens


Des « Grandes espérances » à la grande déception
Les acteurs de la série "Great Expectations", Fionn Whitehead (Pip) et Shalom Brune-Franklin (Estella), Londres, 14 mars 2023 © James Veysey/Shutterstock/SIPA

Le roman de Charles Dickens Great Expectations, ou Les Grandes espérances, fait l’objet d’une énième adaptation télévisée de la part de la BBC. Le premier épisode a été diffusé le 26 mars.


Le scénario est écrit par Steven Knight, le créateur de la série Netflix Peaky Blinders. L’histoire est celle d’un jeune orphelin et apprenti forgeron nommé Pip. Élevé par sa sœur et son mari, il fait la connaissance d’une femme âgée, Miss Havisham. Abandonnée par son fiancé le jour de leur mariage, elle vit dans une grande maison tombant en ruines où tout est resté tel qu’il était le jour des noces qui n’ont jamais eu lieu. La dame, jouée par Olivia Colman (celle qui a porté la couronne dans les saisons trois et quatre de la série éponyme), a une fille adoptive, Estella, dont Pip tombe amoureux.

Parti à la capitale après quelques années d’éducation chez Miss Havisham, Pip y fait l’expérience des hauts et des bas, des torts et des travers, de la société londonienne. Au cours des années qui passent, il acquiert et perd une fortune, avant de partir travailler en Égypte d’où il revient finalement pour se marier avec Estella. Le roman a été adapté au cinéma et à la télévision de nombreuses fois. L’adaptation la plus célèbre et, de l’avis général, la mieux réussie, est le film de David Lean datant de 1946.

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Devant la version 2023, les espérances d’un amateur de Dickens sont vite déçues. De nombreux éléments nouveaux sont ajoutés à l’intrigue, pour être plus dans l’esprit de notre époque – autrement dit, pour faire plus « Netflix » – mais ils ne servent qu’à créer une version caricaturale de l’époque victorienne. Miss Havisham est transformée en opiomane, dont le père a fait fortune grâce au commerce d’esclaves. Pour parfaire l’éducation sexuelle du jeune Pip, Miss Havisham engage une sorte d’entremetteuse, une certaine Mrs Goodwin qui ne figurait pas dans le roman, jugé sans doute trop prude. Un personnage masculin se révèle être masochiste et apprécier une bonne fessée. Certains personnages, notamment Estella, sont inexplicablement – mais inévitablement peut-être – des personnes de couleur. On nous dit que l’histoire doit être adaptée pour un public contemporain. Donc, pour cela, il fallait réunir tous les clichés hollywoodiens contemporains: violence, vulgarité, sexe, drogue, antiimpérialisme, culpabilité colonialiste, tendances suicidaires… Pip est l’adolescent type de nos jours déguisé en personnage du XIXe siècle.

On sent finalement que le vrai objectif de ce type de projet n’est pas de mettre les grandes œuvres du passé à la portée des nouvelles générations, mais de désacraliser nos classiques, leur enlever tout caractère spécial ou vénérable, les priver de toute influence, les empêcher de nous montrer un idéal noble. Il s’agit surtout, peut-être, de nous séparer de notre héritage culturel.




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Journaliste franco-britannique

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