Ce qui se passe en France depuis quelques semaines dépasse l’entendement et rend l’indignation trop tiède...
Je ne parle pas de la démarche erratique d’un gouvernement et d’un pouvoir qui, à force de contradictions d’un jour à l’autre, selon l’appréciation du rapport de force, refusent puis acceptent, durcissent puis cèdent, méprisent puis flattent et sont en réalité dépassés par ce qu’ils ne savent plus maîtriser. Nous sommes saisis par l’incroyable libération d’une violence collective n’éprouvant même plus le besoin de prendre pour prétexte un ressort politique mais seulement soucieuse de servir une finalité destructrice, mortifère. Je suis lassé d’entendre, face à ces déchaînements d’une intensité inouïe, un savoir se contentant de nous expliquer doctement que le passé avait connu les mêmes péripéties, comme, par exemple, Alain Bauer à l’Heure des pros du 27 mars, ou un relativisme cherchant à nous faire accroire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et qu’au fond rien n’est grave puisque tout a déjà eu lieu.
Partialité effrayante des médias après les désordres à Sainte-Soline
Pourtant – sur ce point, Alain Bauer admettait la triste originalité -, une rupture radicale s’est produite quand on est passé de la résistance à la police dans l’exercice légitime de ses missions, à la volonté de s’en prendre à elle en l’attirant par exemple dans des pièges parfois mortels. Les malfaisants ont pris l’initiative d’incendier, de frapper, de blesser délibérément les policiers par haine obsessionnelle de l’ordre qu’ils ont à défendre. Bien au-delà de la police, cette hostilité organisée a été mise en œuvre contre tous ceux qui avaient pour charge d’assurer des missions officielles de secours, d’assistance, de sauvegarde, de représentation ou des actions médicales; contre la France de la solidarité, administrative et salutaire.
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Il me semble que des basculements terrifiants peuvent être constatés qui renvoient l’argument sur le « rien de nouveau » à une banalité dont la visée est de noyer aujourd’hui dans hier, pour le sous-estimer. Si la violence singulière et collective a toujours existé au fil des temps, si, en particulier, elle a souvent été complaisamment évoquée dès lors qu’elle s’assignait un but subversif, ses modalités ont pris un tour de plus en plus odieux, notamment en ce qu’il révèle une totale indifférence à l’égard de la vie humaine. Le transgresseur ne s’assigne plus aucune limite et est d’autant plus conforté dans sa cruauté cynique que le climat général politico-médiatique ne lui oppose qu’une faible contradiction quand ce n’est pas une complaisance scandaleuse.
On n’a jamais en effet connu une telle perversion des valeurs, un bouleversement aussi radical du licite et de l’illicite. Des élus participent à des manifestations interdites et loin d’en éprouver un peu de contrition, un zeste de mauvaise conscience, ils osent justifier leur présence en invoquant un quelconque contrôle de leur part quand, au contraire, excipant de leur qualité, ils attisent les tensions et légitiment le pire. Ce n’est pas d’aujourd’hui certes que le « révolutionnaire » a bonne presse dans notre pays mais dorénavant le deux poids deux mesures atteint des proportions inédites. L’extrême gauche et sa fureur permanente, son agitation frénétique ne tolérant pas une once de concorde, bénéficient, derrière le discours superficiellement critique, d’une sorte d’adhésion, de validation déférente, de retenue républicaine, comme si la volonté de subversion, de détestation du capitalisme avaient droit de cité même dans les démocraties les plus certaines d’elles-mêmes. Quand il y a Eric Zemmour pour dénoncer à juste titre Jean-Luc Mélenchon comme le responsable, pour lui exclusif, des désordres et violences récents, combien peu ont stigmatisé son « la police tue » et la propension de ses soutiens et de sa mouvance à ne tolérer la police que si elle est agressée ou impuissante.
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À consulter l’ensemble des médias le lundi 27 mars, on est effaré par la partialité effrayante qui, notamment sur France Inter, Libération et Mediapart, cible les « violences policières » à Sainte-Soline en oubliant la masse de ceux qui, armés diversement, n’avaient que l’envie d’en découdre pour manifester leur opposition à ce « gouvernement de salopards ». On n’ose imaginer ce qui serait advenu s’il n’y avait pas eu ces 4 000 grenades de désencerclement tant vilipendées, de la même manière que ces BRAV-M dont la suppression est demandée précisément parce qu’elles sont nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public et aux interpellations trop rares et judiciairement guère exploitées.
Une rupture radicale est souhaitable
À cause de l’impossibilité de l’individualisation de la preuve à l’encontre de ces groupes, la Justice est désarmée, alors qu’il conviendrait de sanctionner ces entreprises collectivement violentes – tous étant co-auteurs. Le fonctionnaire de police, s’il est auteur d’une violence illégitime, est immédiatement incriminé. Il n’est pas protégé, lui, par une masse qui le rendrait invisible. La rupture radicale qui serait souhaitable pour qu’on n’ait plus à choisir entre la démocratie ou la honte représente une différence nette avec le passé. Ce dernier permettait des retouches, des aménagements, des modifications ou des suppressions ici ou là et ces révisions partielles étaient opératoires.
Tandis qu’aujourd’hui, avec un État régalien qui prend l’eau, une Justice moins laxiste que débordée et parfois idéologiquement gangrenée, une police présumée si vite coupable, une part d’élus dégradant une République en osant affirmer qu’elle la sert, un pouvoir dont l’exemplarité fait défaut, des médias plus intéressés par le mensonge qui provoque que par la vérité banale, il faudrait tout changer pour qu’on puisse espérer le salut. Il n’est plus la moindre entreprise de restauration ou de redressement qui pourrait se dire autonome, indépendante des autres. Tout se tient. Il faudrait une révolution digne et humaniste. Et courageuse. N’était-ce pas le titre du livre d’Emmanuel Macron, publié avant qu’il devînt président ? Comme c’est loin et oublié !
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