Après huit ans de combat, Ariel Sharon livre sa dernière bataille face au seul adversaire à sa mesure: la mort. L’ancien Premier ministre israélien était connu pour être l’un des meilleurs officiers de sa génération. La vie de cet homme né en 1928 résume à elle seule l’Histoire d’Israël. Dans les forces spéciales au débouché de la déclaration d’indépendance ou général de blindés, il était redouté par ses ennemis (mais aussi par ses chefs) pour son audace et ses initiatives. Mais ses victoires décisives au Sinaï en 1967 et à Suez en 1973 eurent raison des accusations d’indiscipline.
Dès lors, sa popularité, jamais démentie jusqu’à aujourd’hui, ouvre à « Arik » (« le lion », en hébreu) une carrière politique; au moment même où Sadate choisit de signer la paix contre le retrait du Sinaï avec Rabin puis Begin. Les grandes épopées militaires de Tsahal s’achèvent pour laisser la place au règlement d’une question politique plus complexe encore : la question palestinienne.
Son esprit de décision et son aura de grand chef militaire seront déterminants lorsque, devenu ministre de la Défense, il doit démanteler les colonies israéliennes du Sinaï en 1982. Sa fermeté va durablement marquer l’opinion mais la controverse autour des massacres libanais de Sabra et Chatila brise momentanément son ascension. On l’a compris, Sharon n’était pas un homme de scrupule.
De son face à face avec l’Autorité palestinienne et Yasser Arafat, Ariel Sharon sort finalement vainqueur posthume. Après l’échec des négociations de Camp David, il fait le choix, une fois remportées les élections de 2001, d’isoler Arafat et d’imposer à son pays des concessions unilatérales. Il comprend alors l’impossibilité de parvenir à Eretz Israël, le Grand Israël qu’il formait de ses vœux dans sa jeunesse nationaliste.
En effet, après la fin des grandes vagues d’immigration post-guerre froide, le rapport de force démographique israélo-palestinien est défavorable à l’Etat hébreu. Sur le territoire-même d’Israël, en Galilée notamment, les populations arabes montrent une vitalité démographique inquiétante. Et la colonisation de toute la Cisjordanie devient hors de portée pour Israël.
« Un État fait la politique de sa géographie », cette formule de Napoléon aurait pu être la devise d’Ariel Sharon. Celui qui fut, entre autres, ministre de l’Agriculture, de l’Eau, du Logement et des Affaires étrangères concentre ses efforts de colonisation sur les points les plus stratégiques : la vallée du Jourdain et les axes ouest-est. Malgré des discours offensifs, il cherche à se désengager de Hébron, de Naplouse ou Ramallah, bref là où les Palestiniens sont trop nombreux pour que des colons puissent rester en sécurité. Pied à pied, il grignote des terrains autour de Jérusalem-Est dont il estime, comme l’écrasante majorité des Israéliens, qu’elle est la capitale éternelle et exclusive d’Israël. Elle doit donc être désenclavée.
Cette stratégie réaliste s’accompagne de l’érection d’un mur de sécurité qui isole les palestiniens mais aussi certaines colonies. En parallèle, Sharon poursuit le programme anti-balistique qui deviendra le « dôme de fer ». Enfin, il lance le retrait par la force des colonies juives dans toute la bande de Gaza (ainsi que quatre colonies en Cisjordanie). Quoique risquées, ces mesures portent rapidement leurs fruits. En 2003, on considère que l’activité terroriste a chuté de 90% alors même que le mur n’est pas encore achevé. « Seule la gauche parlait de construire ce mur jusque-là. C’est finalement Sharon qui le réalise à partir de 2002. » rappelle Frédéric Encel. La stratégie défensive d’un Israël-forteresse (même accompagné de bombardements) se révèle plus efficace que la stratégie offensive terrestre de Begin en 1982 et d’Olmert en 2006 au Liban.
Sharon serait-il devenu un homme de paix comme on l’entend ici ou là? Pas vraiment. Il a toujours cherché à diviser la Palestine en soutenant le Hamas pour mieux régner sur elle. Comme si la paix devait être obtenue par Israël seul. De fait, le Hamas est aujourd’hui affaibli par sa gestion désastreuse à Gaza et Mahmoud Abbas maintient, bon an mal an, un semblant d’ordre en Cisjordanie. Si la dvision du peuple palestinien a pour but d’en finir avec un adversaire placé de part et d’autre le territoire israélien, cette stratégie est à double tranchant car elle a aussi divisé son propre camp. Le Likoud n’a pas su digérer l’abandon du Grand Israël. Accepter de se retirer sans avoir été vaincu est une potion amère qui ressemble à celle que de Gaulle fit avaler aux pieds noirs. Homme d’initiative d’un point de vue militaire, Sharon le fut aussi d’un point de vue politique. Il avait cofondé le Likoud au début des années 70. Mais ne parvenant plus à canaliser le nationalisme de son parti vers une issue pragmatique, il n’hésite pas à le quitter pour fonder Kadima (« En Avant »). Un parti de rassemblement qui a plongé dans le coma avec lui. Il n’a pas survécu à la corruption de son, nettement moins habile, successeur : Ehoud Olmert, pourtant redevable de l’héritage de Sharon.
Ariel Sharon n’était pas un théoricien politique des relations internationales comme Machiavel, Richelieu, Bismarck ou Kissinger. Il en fut néanmoins le parfait disciple et ses choix furent toujours guidés par un certain nationalisme pragmatique. Davantage à l’aise dans l’action, il se sublimait dans les crises dont il savait toujours tirer profit. Il avait créé un système d’équilibre instable sur la scène intérieure comme sur la scène extérieure d’Israël qu’il semblait le seul à pouvoir maintenir. Pour preuve, la tentative d’Union sacrée autour de Kadima n’a pas survécu à son départ. En sera-t-il autant de la discorde chez l’ennemi ?
*Photo : Avi Ohayon/AP/SIPA. AP21433777_000011.
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