Alors qu’on vient de nobéliser Annie Ernaux pour l’ensemble d’une œuvre édifiante qui célèbre la circonférence du nombril de son auteur, c’est maintenant Christine Angot qu’on met à l’honneur, en l’élisant à l’Académie Goncourt. Portant sa composition à quatre femmes pour six hommes, l’institution se dirige enfin vers une relative parité. La justice est en marche!
Même dans la littérature, il y a lieu de s’en réjouir, le patriarcat cède du terrain… Au XXIe siècle, on rend enfin hommage à la plume féminine, alerte, sensible et résolument portée par le genre de l’autofiction (art de mettre sa vie en fiction) qu’inventa Serge Doubrovsky, en 1977, avec son roman Fils.
L’œuvre de Christine Angot, est-il besoin de le rappeler, ressasse de livre en livre le même évènement sordide : l’inceste dont elle fut victime de la part de son père. Sans nul doute, notre auteur, avec ce témoignage réitéré, fait la démonstration, tout en le dénonçant, qu’on peut survivre à tel abus. Si on respecte la louable entreprise au long cours de Christine Angot, on n’est pas sans regretter, pourtant, que la production littéraire de notre auteur soit d’une exceptionnelle médiocrité. Prenons par exemple Un Amour impossible. Comment ne pas s’esbaudir devant pareil titre ? Le livre est, aux deux tiers, constitué de passages dans lesquels la parole est en roue libre : J’en ai marre moi, on fait rien, on s’ennuie. C’est pas intéressant ! Quel ennui. On est là, comme ça. Qu’est-ce que c’est ennuyeux ! Qu’est-ce qu’elle est pas intéressante cette vie ! Je m’ennuie moi ici. Quel ennui !! Mais quel ennui ! On parle jamais de rien. De rien d’intéressant. J’en ai marre de cette vie moi (…) Dieu, mais j’en ai marre, mais j’en ai marre, j’en ai marre, mais j’en ai marre ! Notre « autrice » joue ici subtilement sur la ponctuation, on aurait préféré qu’elle poussât l’audace stylistique jusqu’à renoncer aux mots eux-mêmes.
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On reconnaît, toutefois, s’être réjoui des colères, parfois saines, de la dame qui chroniqua dans divers médias. On pense notamment à la véhémence avec laquelle elle expliqua, à une Sandrine Rousseau effondrée, combien était ridicule l’idée de créer des instances visant à recueillir la parole des femmes au sein des partis. On loue aussi son opposition à la GPA qui lui valut la haine des progressistes. Gageons que notre « auteure » saura ambiancer les déjeuners au Drouant.
On se demande toutefois si notre plumitive, volcanique et décomplexée, bien à sa place dans l’Académie créée par Edmond de Goncourt, écrivain de second ordre, connaît les frangins Goncourt. Edmond, notre précieux, parfois ridicule et à la sensibilité « artiste » est passé à la postérité, surtout pour le journal qu’il tint. D’abord avec son frère cadet, Jules; seul, après la mort de celui-ci.
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Surnommés « mes deux bichons » par Flaubert, ces littérateurs tout en nerfs et tourmentés par un succès romanesque qui tardait à venir, ont rendu compte, au jour le jour, de la vie artistique et sociale de leur époque. Dans ces pages, nos diaristes se révèlent amers et fielleux vis-à-vis de leurs pairs. On peut ainsi lire : Maupassant est un très remarquable novelliere, un charmant conteur de nouvelles, mais un styliste, un grand écrivain, non, non ! Ou bien, Du moment qu’il y a un concert universel d’éloges dans la presse sur un livre, on peut presque affirmer que ce livre n’est pas bon, exemple : L’Œuvre de Zola.
Plus tard, désabusé, Edmond écrira : Zola et Daudet n’ont fait que grandir par leurs œuvres, tandis que je n’ai pu qu’inventer une académie que Vallès a trouvée ridicule et dont Vallès vient de s’échapper ; mon journal n’a de valeur que par sa malveillance et je n’ai donné aux gens de mon temps que des images grotesques… De fait, les présidents successifs du Prix, mis à part Colette (de 1949 à 1954) sont des vedettes américaines de la littérature. Ses lauréats, à quelques exceptions près (dont Proust en 1919, Malraux en 1933, Beauvoir en 1954, Michel Tournier en 1970 et quelques autres, quand même…), sont souvent les auteurs d’une œuvre restée obscure. Du reste, Jules avait affirmé, toujours dans le fameux journal : Académies, commandes, prix, récompenses, rien n’est plus idiot que l’éducation et l’encouragement des lettres et des arts : on ne cultive pas plus les hommes à talents que des truffes. Par contre, les truffes élisent souvent des truffes.
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Gageons que cette année, les convives du Drouant ont amèrement regretté de ne pas pouvoir honorer, en raison d’un règlement inique, le Cher connard de Virginie Despentes (l’« autrice », qui fut quelque temps des leurs, est, de ce fait, inéligible). Quant au misogyne Edmond, d’où il se trouve, il ne doit pas s’enthousiasmer de voir son académie devenir gynécée. Mais les femmes qui siègent au Goncourt, connaissent-elles les bons mots qu’on doit aux diaristes ?
La femme : deux paires d’ailes autour d’un phallus.
Il n’y a que la langue des femmes pour être méchante comme une maladie vénérienne.
La femme n’est que le gracieux perroquet des imaginations, des pensées, des paroles de l’homme, et le joli petit singe de ses goûts et de ses manies.
Si tel n’était pas le cas, on compte bien sûr sur l’explosive Christine pour les affranchir.