Accueil Édition Abonné Entre propagande et chienlit: l’école est finie !

Entre propagande et chienlit: l’école est finie !

Se déconstruire avant même d'être construit


Entre propagande et chienlit: l’école est finie !
"Le peuple qui a les meilleures écoles est le premier peuple." Photo de classe d'une école élémentaire de Buigny-lès-Gamaches (Somme), 1906 © Archives Charmet/Bridgeman

En cessant d’être le lieu de la transmission des savoirs, l’école a ouvert la porte à toutes les propagandes. Privés de construction culturelle et intellectuelle, les élèves y sont plus que jamais « déconstruits ».


Il en est de la décomposition de l’école comme de certains faits divers, sitôt oubliés que rendus publics : baisse du niveau scolaire, appauvrissement de la langue française, faillite de l’autorité, violence et anarchie… Tout a déjà été dit et redit sans qu’aucune reprise en main sérieuse s’en soit suivie. Après avoir été le fleuron de la République, fière d’elle-même et de ses acquis, l’école est devenue le témoin de ses fractures et le laboratoire de son effondrement futur. On annonce certes périodiquement vouloir en revenir aux « fondamentaux » – parler correctement sa langue, savoir lire, compter –, mais comment revenir aux sources de tous les savoirs quand ce sont les conditions mêmes de la vie en commun qui sont aujourd’hui mises à mal, sur le lieu même où les enfants sont censés en faire l’apprentissage ? Et ce n’est pas parce que certaines écoles semblent pour l’heure à l’abri de ce désastre qu’il faut détourner les yeux de toutes les autres où, sur fond d’inculture et d’insécurité grandissantes, la propagande prospère dans un climat délétère ; islamisme radical et wokisme se partageant d’ores et déjà la meilleure part du gâteau.

À qui la faute ?

Certainement pas aux pédagogies alternatives qui proposent depuis plus d’un siècle d’autres modèles éducatifs (Maria Montessori, Rudolf Steiner), en vue d’un autre type de société (Ivan Illich). On peut ne pas adhérer à ces projets, mais du moins sont-ils cohérents. On s’est par contre ingénié depuis quelques décennies à « ouvrir » à tout prix l’école laïque et républicaine sur le monde, et l’intention était louable dès lors que l’acquisition des savoirs continuait intra-muros. Mais quand le monde extérieur n’est plus que bruit et fureur, et que l’ouverture relève d’une idéologie qui se vante de transgresser toutes les limites, la brèche est ouverte par où les « faits de société » vont pouvoir prendre la place des enseignements fondamentaux. En matière de connaissances, l’école est par ailleurs de plus en plus concurrencée par des sources d’information multiples que les enfants sont invités à consulter ; cet apport extérieur étant même si important qu’il oblige à redéfinir la tâche de l’enseignant : est-il délivré d’une fonction finalement subalterne, et de ce fait plus disponible pour se consacrer à la formation des esprits ? Encore faudrait-il que les jeunes esprits soient eux aussi disponibles et pas dispersés mentalement comme ils le sont aujourd’hui ! Alors transmettre quoi, et à qui ?

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L’école « à l’ancienne » ne transmettait pas seulement des connaissances, mais aussi, à travers elles, des manières d’être et un état d’esprit permettant à chacun(e) de se situer dans la société de son temps, et d’y évoluer en fonction de son caractère, de sa vocation et de ses talents. Transmettre, lorsqu’on était enseignant, n’était donc pas seulement informer, communiquer ce qu’on avait soi-même appris. C’était aussi se porter garant, témoigner, par sa personne et son attitude mêmes, d’une continuité culturelle et parfois spirituelle capable d’intégrer les différences de tous ordres sans avoir à renier son identité. Il n’est qu’à relire George Steiner pour comprendre quels rapports étroits unissaient en ce sens transmission et culture (1) ; et l’école eut longtemps pour mission de libérer les esprits des pesanteurs ancestrales, mais aussi des préjugés nouveaux derrière lesquels on s’abrite pour mieux se dire progressiste et moderne. Or, partout où la transmission faillit à sa mission, c’est la propagande qui gagne du terrain.

L’instruction publique joue rôle des parents

En effet, la propagande n’est plus l’arme idéologique des seuls systèmes totalitaires qui en font un usage massif et coercitif. Elle est depuis peu devenue le poison des démocraties, qui s’insinue dans les divers réseaux à travers lesquels circulent des milliers d’informations pour la plupart difficilement vérifiables. La propagande est désormais partout où des informations approximatives et des jugements à l’emporte-pièce se propagent (du latin propagare, « répandre ») à une vitesse qui les rend d’autant plus dangereux qu’ils sont porteurs d’une charge émotionnelle dont on reconnaît implicitement, en la disant « virale », le caractère infectieux, contagieux. L’école était jusqu’alors épargnée par ce fléau, mais elle ne l’est plus ; et ce sont même les questions de société les plus chargées d’émotivité – homophobie, racisme, théorie du genre, etc. – qui sont maintenant proposées à la réflexion des enfants et adolescents, alors même que la plupart d’entre eux en sont encore à s’interroger sur leur propre identité. Une invitation à se déconstruire avant même de s’être construit ! L’implication de plus en plus insistante des parents d’élèves dans l’école tend de son côté à faire oublier que le traitement de ces questions revenait de plein droit il y a quelques années encore à l’éducation parentale, et pas à l’instruction publique.

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À qui par ailleurs transmettre un héritage dont on se sent fier lorsque celles et ceux à qui l’on s’adresse font clairement savoir qu’ils appartiennent à un autre monde et ne se sentent pas du tout concernés par les questions de société qu’on leur pose ? C’est quotidiennement que La Journée de la jupe (2) est rejouée à guichets fermés dans certains quartiers ; quotidiennement aussi que des écoliers subissent, dans l’enceinte scolaire censée les protéger, harcèlement moral et violences physiques, tandis que des enseignants, épuisés ou écœurés, démissionnent ou se suicident, quand ce ne sont pas les fous de Dieu qui s’en chargent pour eux. Avoir laissé cette situation explosive s’installer dans la durée est un crime resté à ce jour impuni, qui n’aurait pu être commis sans la participation plus ou moins active de responsables politiques et d’acteurs sociaux spéculant, à des fins idéologiques ou carriéristes, sur les effets cumulés de l’illettrisme et de l’amnésie.

1 : Cf. Françoise Bonardel, « La vocation du clerc », Causeur n° 77, mars 2020.

2 : Film de Jean-Paul Lilienfeld (2009) avec Isabelle Adjani dans le rôle principal.

Mars 2023 – Causeur #110

Article extrait du Magazine Causeur




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est philosophe et essayiste, professeur émérite de philosophie des religions à la Sorbonne. Dernier ouvrage paru : "Jung et la gnose", Editions Pierre-Guillamue de Roux, 2017.

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