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Les pleureuses

Quand l'émotion prime sur la raison


Les pleureuses
Aurore Bergé, députée de la dixième circonscription des Yvelines et présidente du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale, le 7 mars. © Assemblée Nationale

Aurore Bergé fond en larmes à l’Assemblée, parce qu’on attaque son projet de loi (mis à la poubelle depuis) d’inéligibilité des hommes violents. Marlène Schiappa hurle à la télévision, pour un motif assez similaire. Enfin, des militants encore plus gauchistes que l’actrice Adèle Haenel lui reprochent de toucher de trop gros cachets pour ses films… Ces derniers jours, la course à la légitimité et à l’émotion ont pris le dessus sur le fond.


Sur le plateau de « C ce soir », le 8 mars dernier, le ton est vite monté dans les tours entre Marlène Schiappa et l’artiste polyvalente Andréa Bescond. Cette dernière, figure d’un néoféminisme des plus radicaux, a reproché à notre brave Secrétaire d’État, actuellement en charge de l’Économie sociale et solidaire et de la vie associative, d’en faire trop peu, lors d’un débat autour des violences sexuelles. « Il y a des femmes qui meurent, des femmes qui sont violées tous les jours, toutes les sept minutes il y a une tentative de viol ! (…) A votre place, honnêtement, je ne serais pas comme ça, toute détendue, en train de sortir un livre », a notamment vociféré la militante. En réponse, Marlène Schiappa, très remontée, a menacé de quitter le plateau de télévision, et a affirmé, indignée : « Me dire que je découvre les violences sexuelles ? Mais merde quoi ! J’ai quelqu’un qui a été tué au fusil[dans ma famille ?] ». La femme politique a ensuite demandé s’il était possible de couper cette séquence, mais France 5 a bel et bien diffusé les images.

De son côté, chiffonnée que le LFI Adrien Quatennens ait pu réintégrer l’Assemblée nationale, le 11 janvier, sous les applaudissements de nombre des siens, Aurore Bergé, présidente du groupe « Renaissance », a proposé un texte de loi empêchant à toute personne condamnée pour des violences conjugales ou familiales de se présenter aux élections. Les oppositions ont dénoncé une loi opportuniste et ont accusé la députée de manquer de sincérité. L’impayable Danièle Obono, toute en délicatesse, comme à son habitude, a hurlé sur la députée dans l’hémicycle ce 7 mars, le doigt menaçant, dans un chahut semblable à celui d’une cour de récréation. C’était d’ailleurs également lors de ce débat que le garde des Sceaux a adressé à Olivier Marleix un doigt d’honneur, ce qui a déjà été évoqué dans ces colonnes.
C’en était trop pour la chef du groupe de la majorité, qui a fondu en larmes, semblant implorer ses collègues de soutenir son projet de loi: « Je sais exactement de quoi je parle quand je parle des violences conjugales. »

Aurore Bergé en a dit trop, ou pas assez. Les journalistes la relanceront-ils bientôt, en interview, quant à ces révélations intimes ? Ce serait de mauvais goût, évidemment. Reste que maintenant, tout le monde voudrait bien savoir de quoi il retourne exactement.

Le 20 février, l’actrice Adèle Haenel appelait à « mettre la misère aux bourgeois et au capitalisme », lors d’un meeting féministe et antiraciste de l’organisation politique d’extrême gauche Révolution Permanente, se tenant, sans grande surprise, à l’Université de Paris 8. « On veut renverser le capitalisme et on a plein d’idées de ce que pourrait être un monde post-capitaliste, c’est-à-dire communiste » a affirmé celle qui se lève et se casse quand le nom de Polanski est prononcé. Issue des beaux quartiers, habituée des tapis rouges, Haenel doit sa « déconstruction » au syndicaliste Anasse Kazib, incarnation même de l’islamo-gauchisme, dont la course folle aux présidentielles s’est malheureusement arrêtée aux parrainages. C’est lui qui est le porte-parole de Révolution Permanente, à l’origine de l’événement.

Les nouvelles prises de position de l’actrice de 34 ans ont évidemment fait couler beaucoup d’encre, presque autant que sa transformation physique – mais interdiction formelle de le mentionner, sous peine d’être taxé de sexisme… 

Peu importe son nouveau look, effectivement : venant d’une richissime Parisienne césarisée, c’est surtout cette étonnante apologie du communisme qui en a surpris plus d’un. On lui connaissait certes des penchants wokes, sa culpabilité d’être née blanche et riche, mais l’icône lesbo / bobo franchit là un nouveau cap avec ce militantisme toujours plus violent. La starlette affiche désormais un visage très dur, et adopte un accent banlieusard pour réclamer le démantèlement de l’État-bourgeois, qui l’éloigne beaucoup du 6e arrondissement où elle est allée au lycée. Selon elle, le gouvernement est carrément « composé de violeurs » (ça faisait longtemps), et, sans surprise, Sandrine Rousseau lui a exprimé toute sa solidarité. Entre bourgeoises sous couverture, mieux vaut se serrer les coudes… Mais, sur les réseaux sociaux, certains ont estimé qu’elle n’était pas la mieux placée pour défendre les miséreux.

Tous ces exemples interrogent : que reproche-t-on à toutes ces femmes ? Que reproche-t-on à toutes ces pleureuses, à la fin ? D’attiser la pitié ? Peut-être, mais pas uniquement. Adèle Haenel aurait-elle dû naître sans cuillère d’argent dans la bouche, pour être du côté des pauvres ? Faut-il avoir subi des violences pour défendre les victimes ? Sera-t-il demain totalement inconcevable de nommer un homme compétent à un poste défendant la parité ou luttant contre les inégalités hommes / femmes ?

Utiliser des récits personnels à des fins politiques ou militantes est un mal de l’époque, il n’est pas nouveau, c’est entendu. Reste que cette vision du monde, qui repose sur un principe d’identité, et où plus rien ne nous est commun, semble se répandre. A-t-on le droit d’en parler, si on ne l’est pas ? Un blanc peut-il parler de la condition des noirs ? Un hétérosexuel des préoccupations des homosexuels ? Des hommes de la condition des femmes ? Une députée s’attaquant à la cause féminine doit-elle personnellement avoir subi des violences pour les défendre ? 

Et si c’était le contraire ? Et si, justement, c’était la distance qu’on a pour voir l’Autre qui permettait peut-être de mieux en parler parfois ? Et si un tiers était nécessaire pour avoir conscience de soi ? Et si les autres voyaient parfois, en nous, ce que nous ne voyons pas, ou plus ? Socrate disait « Connais-toi toi-même ». Oui, mais pas tout seul…  




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