C’est une bande dessinée époustouflante que nous livre une nouvelle fois le dessinateur Yvon Bertorello et ses acolytes. Sortie récemment aux éditions Plein Vent, Justes parmi les nations nous plonge dans la France de Vichy et ses lois antisémites et dans l’horreur de la Shoah. Un premier tome passionnant consacré aux premiers «héros de l’ombre, issus de toutes confessions et de tous milieux socio-professionnels, tous réunis par un courage d’exception».
Depuis peu dans les rayons de toutes les librairies de France et de Navarre, c’est une bande dessinée de 64 pages cosignée par Yvon Bertorollo, Frédéric Allali et Serge Scotto pour le scénario, Michel Espinosa et Éric Stoffel pour les illustrations, qui attire irrémédiablement l’œil des passionnés d’histoire. Parue aux éditions Plein Vent, bénéficiant du soutien du comité français pour Yad Vashem, le titre est prometteur: Justes parmi les nations. La couverture de la BD donne le ton. Cernés par deux policiers français, on peut apercevoir la terreur qui se lit dans les yeux d’une femme entourée de ses trois enfants. Une particularité : ils portent tous l’étoile jaune.
Bienvenue dans la France de 1942. Plus précisément à Nice, située en zone libre, conformément aux accords de Montoire signés deux ans plus tôt entre le maréchal Philippe Pétain et le chancelier Adolf Hitler. C’est dans cette ville des Alpes-Maritimes, qui va connaître « une histoire à trois temps », que de nombreux juifs vont trouver refuge, peu inquiétés par les autorités municipales ni par les soldats italiens qui paradent plus qu’ils ne font appliquer les lois antisémites du régime de Vichy. Dans « Justes parmi les nations », on suit le parcours d’une famille juive, celle du narrateur, qui a fui clandestinement Paris peu de temps après l’armistice, et le destin d’une communauté frappée par une tragédie restée à jamais ancrée dans notre subconscient collectif.
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Lorsque les Alliés débarquent en Afrique du Nord (Opération Torch) en novembre de cette même année, les Allemands décident de réagir et d’envahir la zone libre. Les forces du Duce Benito Mussolini ne sont pas en reste et s’empressent d’occuper la ville de Nice sous l’œil d’une bande de copains qui tente, malgré les affaires du conflit, de rester des enfants avec leurs jeux et leur insouciance. C’est en décembre suivant que la préfecture de Nice reçoit l’ordre de faire appliquer les lois qui imposent le port de l’étoile jaune et l’origine israélite sur les cartes d’alimentation et d’identité. Le consul d’Italie, Alberto Calisse, dont l’épouse est concernée par cette loi, va s’opposer à cette décision, rappelant que la ville est sous administration fasciste. Une résistance va se mettre progressivement en place avec des figures célèbres dont celle d’un fervent catholique de centre-gauche, Pierre Merli (1920-1944). A ses côtés, un autre grand nom, celui de Moussa Abadi (1907-1997) qui est à la tête du Réseau Marcel avec son épouse, Odette Rosenstock (1914-1999). Tous vont organiser l’exfiltration de plus de 500 enfants juifs avec l’aide des autorités catholiques locales qui les cachent dans les couvents et les monastères. Des prêtres et des sœurs qui n’hésitent pas à mettre leur vie en péril afin de sauver des innocents des horreurs qui les attendent dans les camps de concentration et dont les détails commencent tout juste à être connus du public.
Autant de visages de ces Justes parmi les nations qui s’égrènent, dont les actes sont retracés dans cette bande dessinée qui nous fait revivre l’atmosphère de cette époque, où, à chaque page tournée, on craint de découvrir le pire. Un ouvrage « pour que toutes les générations se souviennent des gestes héroïques de quelques-uns aux heures sombres de notre histoire, cette émouvante BD leur rend un hommage autant mérité qu’indispensable » n’a pas hésité à résumer, avec enthousiasme, l’animateur Stéphane Bern.
Déjà un succès, le deuxième tome est actuellement en préparation.
Justes parmi les nations: Les réseaux de la liberté - Tome 1
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Un formidable support pédagogique contre le communautarisme Je laisserai de côté mes quelques réserves littéraires (des dialogues trop didactiques, notamment) pour mettre en valeur l’intérêt pédagogique d’une telle entreprise d’une part, et d’autre part, sa dimension métaphysique. L’ancien professeur que je fus, croit entendre durant la lecture de cet ouvrage, ses anciens élèves s’exclamer: « Mais Madame, ils n’étaient pas juifs ! Pourquoi ont-ils fait ça ? » Etant entendu que pour eux, seul un juif peut vouloir protéger un juif, un Grec un Grec, une femme une femme, un homme un homme, un noir un noir, un blanc un blanc, etc. Certes, les résistants étaient en général compréhensibles – ils se battaient contre l’occupant -, mais les justes?! Eh bien, les justes étaient précisément ceux pour lesquels le « principe d’identité » qui voudrait qu’on ne se batte et mette sa vie en jeu que pour les « siens », dans une logique purement communautariste, n’avait pas de sens. Et s’il n’avait pas de sens, c’est parce qu’ils concevaient une condition humaine commune d’où nul humain ne pouvait être exclu. Le monde nazifié était donc pour eux, et pas seulement pour les juifs, irrecevable. Et c’est bien au nom d’une certaine idée de l’humanité partagée que ces non-juifs donc ont pu risquer leur vie et mettre à l’abri 727 enfants. Il me semble qu’aborder la question du génocide juif par le biais de ces justes en bande dessinée serait infiniment plus probant que de dérouler les images infernales aux effets parfois pervers chez les adolescents. Certains films que, jeune professeur, j’avais pu leur montrer m’en avaient persuadée. C’est pourquoi je recommande vivement cet ouvrage à mes collègues d’histoire-géographie en particulier afin de changer de paradigme pour aborder cette tragédie. De la même façon, j’entendais toujours mes élèves s’exclamer devant la liste des justes reconnus par Yad Vashem et qui se trouve à la fin du livre : « Mais Madame, à quoi ça leur sert maintenant, vu qu’ils sont morts ces gens-là?! » Je leur répondrais alors ce que cette BD accomplit ; que si les êtres humains meurent, la justice, elle, ne connaît pas de fin, qu’elle est infinie, et que celui qui rend justice par-delà la mort du juste, la rétablit et se rétablit lui-même dans son humanité. Dès lors, ce livre pourrait éveiller autrement la conscience des élèves et les « justes » continueraient ainsi à œuvrer par-delà leur propre disparition… Clara Ekberg |