Accueil Culture «Dictionnaire amoureux du mauvais goût»: un monument d’intelligence et d’humour

«Dictionnaire amoureux du mauvais goût»: un monument d’intelligence et d’humour

Nicolas d’Estienne d’Orves nous invite dans "son grenier braillard et cocasse", chez Plon


«Dictionnaire amoureux du mauvais goût»: un monument d’intelligence et d’humour
Le journaliste et écrivain Nicolas d'Estienne d'Orves © Jacques BENAROCH/SIPA

Qu’est-ce qui a bien pu pousser notre chroniqueur à s’intéresser à ce Dictionnaire amoureux du mauvais goût ? Le goût de la provocation? La certitude d’être du côté du bon goût? Un penchant à l’auto-flagellation ? La rédaction de Causeur s’interroge…


J’avais l’année dernière salué sur Marianne la parution du dernier roman en date de Nicolas d’Estienne d’Orves, Ce que l’on sait de Max Toppard — autobiographie fictive d’un pionnier du cinéma, récit virtuose tout en enchâssements. Le second degré (et les suivants, l’ironie descend en cascade dans les tréfonds du style et du cerveau) n’est pas tout à fait inconnu à l’auteur, qui cette fois nous balade dans un dictionnaire à double ou triple fond.

Parce qu’il y a le mauvais goût des autres — ceux qui aiment se mettre un « anneau dans le nez », coincent un « boudin en forme de teckel » devant leur porte, votent « Anne Hidalgo » ou plébiscitent les « éoliennes » tout en regardant « les Jeux de vingt heures ». Il y a le mauvais goût de génie : celui de « Mel Brooks » — voir absolument, comme le recommande l’auteur, ces chefs-d’œuvre que sont Les Producteurs (1968) ou Le Shérif est en prison (1974) ; celui de « Francis Blanche » ou de « Jean Yanne » — dont les rouflaquettes de voyou et les vestes made in le Carreau du Temple dissimulaient (mal) une infinie tendresse et un immense talent (regardez Nous ne vieillirons pas ensemble ou Le Boucher). Et enfin, le mauvais goût de nos propres productions, d’un humour si décalé que les imbéciles ne le perçoivent pas bien.

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Il y a même une nostalgie du mauvais goût. Notre auteur, né en 1974, déplore d’avoir été trop jeune pour assister en direct au couronnement de l’anthropophage « Jean-Bedel Bokassa », entièrement payé par la France de Giscard, comme chacun sait.

Plon

Ainsi, NEO (comme il aime s’appeler, afin que les esprits chagrins croient qu’il se prend pour la doublure de Keanu Rives dans Matrix) égaya-t-il quelque temps l’émission fort honorable de son ami Benoît Duteurtre sur France-Musique, Étonnez-moi Benoît, en y passant des « chansons paillardes » qui choquèrent, bien sûr, le bon goût (ou supposé tel) des auditeurs mélomanes. Après avoir signalé à l’animateur, tongue in cheek, qu’« une étoile, ça s’élargit », il diffusa La sodomie ça fait péter (si, ça existe !). On toléra un certain temps ces blagues, jusqu’à ce que Ils ont de grosses bites, de gros glands sur l’air de « Il est né le divin enfant », juste avant Noël, lui vaille une radiation radiophonique qu’il porte depuis en bandoulière, comme une Légion d’horreur bien méritée.

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Car l’outrance, quand elle ne se prend pas au sérieux, est une manifestation du bon goût. La kitschitude des restaurants chinois, non. Mais assumée, ça peut être drôle.

Ce qui est vraiment drôle, bien sûr, c’est la tête de ceux qui n’admettent pas, ne comprennent pas. Molière a eu maille à partir en son temps avec des rabat-joie qui trouvèrent à redire à certains sous-entendus graveleux posés çà et là — dans L’Ecole des femmes par exemple.

Enfin, ce Dictionnaire permet de faire le point sur notre propre bon goût. Si vous trouvez qu’« Omar Sy » dans Knock était bon, que la « taxidermie » perpétue avec goût vos tableaux de chasse, si vous vous êtes masturbé sur « La Vie sexuelle de Catherine M. », ou que le « selfie » vaut tout autant qu’un autoportrait de Van Gogh, il vous faut réfléchir encore, et encore, faire un stage sur le Causse du Larzac pour vous aérer l’esprit et vous concentrer sur l’essentiel, ou lire ce Dictionnaire amoureux du mauvais goût.


Les mots entre guillemets sont quelques-unes des entrées de ce monument d’hilarité.

Nicolas d’Estienne d’Orves, Dictionnaire amoureux du mauvais goût, Plon, 583 p.

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Nicolas d’Estienne d’Orves, Ce que l’on sait de Max Toppard, Albin Michel, 506 p.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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