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De «Brexit» à «bromance» : une nouvelle entente cordiale entre la France et le Royaume Uni?

Premier ministre britannique depuis octobre, Rishi Sunak était reçu à Paris vendredi dernier


De «Brexit» à «bromance» : une nouvelle entente cordiale entre la France et le Royaume Uni?
Rishi Sunak et Emmanuel Macron, Paris, 10 mars 2023 © Blondet Eliot /POOL/SIPA

Le sommet franco-britannique qui s’est tenu à l’Élysée vendredi dernier a vu maintes embrassades et moultes échanges de tapes dans le dos entre les deux dirigeants. Mais au-delà des rodomontades de convenance à destination des caméras, existe-t-il réellement une nouvelle entente entre les deux pays ? Si oui, de quels effets productifs sera-t-elle suivie ?


L’année prochaine verra le 120e anniversaire de l’Entente cordiale, un ensemble d’accords entre la France et le Royaume Uni, signés en 1904, qui ont contribué à ouvrir la voie à l’alliance entre les deux États lors de la Première Guerre mondiale. En anticipant la commémoration de cet événement, Emmanuel Macron et Rishi Sunak ont essayé de créer une nouvelle entente susceptible de mettre fin aux tensions qui caractérisent les relations franco-britanniques depuis l’époque des négociations sur le Brexit. Boris Johnson avait trouvé commode de faire de la France le bouc émissaire chaque fois qu’il prétendait rencontrer une opposition quelconque de la part de l’UE. Emmanuel Macron semblait content de jouer le pit-bull européen face à des demandes émanant de Londres que l’UE prétendait exorbitantes. Il y a eu de vrais sujets de dissension sur des dossiers comme la pêche dans les eaux britanniques ou le protocole nord-irlandais, et ces questions ne sont toujours pas entièrement résolues. Mais côté britannique, Rishi Sunak a réussi à faire un certain nombre de progrès sur le protocole avec son « cadre de Windsor ». Désormais, il s’empresse de montrer qu’il est plus conciliateur que Boris Johnson, voire qu’il est un véritable ami pour ses voisins européens, à commencer par les Français. Son voyage à Paris pour le premier sommet franco-britannique depuis cinq ans et la venue, à la fin de ce mois, du roi Charles – sa première visite d’État – envoient un signal très clair : la France est à l’honneur et les relations vont se normaliser de nouveau.

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Lorsque les deux leaders, tous les deux relativement jeunes, sveltes, moulés dans le genre de costume foncé qui sied à des anciens de la finance, se sont montrés pour leur conférence de presse, le mot sur toutes les lèvres des commentateurs était celui de « bromance ». Mais au-delà de cette démonstration d’amitié personnelle, le chef d’État français et le chef de gouvernement britannique ont besoin l’un de l’autre et pour des raisons très concrètes. Certes, la guerre qui se poursuit en Ukraine et l’existence d’un adversaire commun en Vladimir Poutine ont créé une nouvelle solidarité entre les pays occidentaux. Le sommet de vendredi a confirmé qu’Emmanuel Macron se range plus clairement qu’avant dans le camp de ceux qui, à la différence du très prudent chancelier Scholtz, affichent un soutien sans faille aux Ukrainiens. La déclaration officielle accompagnant le sommet a abondé dans ce sens, parlant d’une plus grande coordination des efforts français et britanniques pour aider Kiev. Les discussions ont porté aussi sur des questions où plus de coopération est parfaitement logique, comme la lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité, ainsi que des mesures communes pour faciliter la décarbonisation de l’économie et garantir la sûreté des approvisionnements énergétiques. Les échanges culturels n’ont pas été oubliés, et il est même question d’un prix littéraire franco-britannique qui, à notre époque, laisse craindre le pire. Mais tout cela est relativement prévisible, chacun des deux dirigeants ayant ses propres soucis spécifiques et comptant l’un sur l’autre pour l’aider à s’en sortir.

Immigration: petits bateaux et radeau de sauvetage

A part le niveau de l’inflation et les grèves dans des secteurs clés comme l’hôpital ou les transports, le Premier ministre britannique est confronté à une difficulté très visible : les traversées de la Manche par des migrants illégaux dans des bateaux de fortune. Ce phénomène dément la prétention du gouvernement à « reprendre le contrôle » de ses frontières après le départ de l’UE. Chaque année, le nombre de ces migrants ne cesse d’augmenter. On sait que 45 000 ont traversé la Manche en 2022. S’ils sont de plus en plus nombreux à prendre ce risque, c’est parce qu’ils savent que presque personne n’est renvoyé. Bien que les ONG prêchent l’accueil sans restriction de ces « réfugiés », un grand nombre des clandestins ne peuvent pas se réclamer d’un tel statut. L’année dernière, la nationalité la plus représentée était l’albanaise. Des deux côtés de la Manche, ce sont les réseaux de trafiquants humains qui font la loi : leur priorité n’est pas de secourir des réfugiés mais de profiter d’un commerce extrêmement lucratif, beaucoup des migrants n’étant apparemment pas sans ressources. Le gouvernement britannique a réussi à mettre en place un accord avec l’Albanie pour le retour des citoyens de ce pays, mais son projet pour expulser des clandestins vers le Rwanda reste bloqué devant les tribunaux. Le Trésor public dépense presque sept millions d’euros par jour rien que pour loger les migrants dans des hôtels.

C’est dans ce contexte que, le 7 mars, le gouvernement de Sunak a déposé un nouveau projet de loi « sur la migration illégale ». Les personnes arrivant sur le sol britannique par des moyens illégaux n’auront pas le droit de demander l’asile ; elles seront placées en détention en attendant d’être expulsées du pays dans un délai de 28 jours. Sur le papier, ces mesures semblent efficaces mais elles seront probablement difficiles à mettre en œuvre. D’abord, elles susciteront des contestations judiciaires sans fin où l’action coordonnée des ONG jouera un rôle central. Ensuite, vers où les migrants seront-ils expulsés ? La plupart des pays d’origine refusent de les accepter ou sont considérés comme trop dangereux pour qu’on y expulse un migrant sans contrevenir aux droits humains. N’étant plus membre de l’UE, le Royaume Uni ne peut même pas tenter de les renvoyer dans un État membre – comme la France par exemple – car il n’est pas couvert par le Règlement Dublin III régissant les demandes d’asile.

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Comme les effets positifs de cette législation seront longs à venir et vraisemblablement assez limités, Rishi Sunak a besoin de montrer des progrès tangibles d’une autre manière. C’est là que la France peut lui porter secours en acceptant d’intensifier la coopération avec les autorités britanniques sur la traque des gangs criminels et la patrouille des littoraux. Ce n’est donc pas une coïncidence si le projet de loi sur la migration illégale est dévoilé la semaine même où Rishi Sunak se pointe à l’Élysée. Selon la déclaration officielle du sommet, la coopération franco-britannique a déjà permis de démanteler 55 filières de trafiquants, de procéder à plus de 500 arrestations, et d’empêcher 1381 traversées illégales qui auraient transporté outre-Manche 33788 migrants illégaux. Maintenant, le gouvernement britannique va investir 541 millions d’euros sur trois ans pour que, côté français, il y ait 500 agents patrouilleurs, plus de drones, d’hélicoptères et d’avions, et un nouveau centre de rétention destiné à héberger les clandestins qui cherchent à traverser la Manche. Dans la mesure où les chiffres peuvent impressionner, l’opération est réussie. Rishi Sunak ne pouvait pas espérer que, par un accord bilatéral, la France accepte de reprendre les clandestins ayant réussi la traversée, mais quand, à la fin de la conférence de presse, il a lancé à Emmanuel Macron : « merci, mon ami », sa reconnaissance était probablement tout ce qu’il y a de plus sincère.  

Des histoires de ménages à trois

Que voulait le président français en échange de cette coopération qui, néanmoins, sera largement subventionnée par le gouvernement britannique ? Rishi Sunak ne peut absolument rien pour l’aider sur la question de la réforme des retraites. Mais chacun sait que M. Macron est préoccupé par son statut d’homme d’État dont l’ambition transcende très largement la scène nationale en visant celle de l’Europe voire celle de la planète. C’est là qu’il rencontre des difficultés en ce moment. D’abord, en ce qui concerne la nouvelle Europe de la défense dont l’agression russe en Ukraine a provoqué la construction. Car aujourd’hui le président, qui a longtemps cherché à saisir l’initiative dans le domaine clé de la défense européenne, voit l’Allemagne de Scholtz lui ravir cette initiative. Sur certains dossiers, comme, par exemple celui de la défense anti-missile, M. Macron se trouve en minorité, tandis que l’Allemagne est plus pressée d’acheter du matériel militaire américain que de passer des commandes auprès de l’industrie française de l’armement. Du temps où le Royaume Uni était membre de l’UE, celui-ci jouait un rôle de contrepoids en empêchant dans une certaine mesure l’un des deux autres grands États-membres de prendre une position dominante. Le président français a besoin que le Royaume Uni joue de nouveau ce rôle, bien que d’une façon un peu plus distante. C’est possible parce que, comme le démontre la guerre en Ukraine, les questions de défense dépassent le cadre de la seule Union européenne. Face à l’agression russe, c’est tout le continent européen qui est uni. La France et le Royaume Uni ont les forces armées les plus performantes de l’Europe ; seules nations européennes à siéger au Conseil de sécurité des Nations Unies et à posséder une force de dissuasion nucléaire. Afficher et développer sa coopération militaire et stratégique avec le Royaume Uni permet à M. Macron de rappeler au chancelier allemand que ce dernier n’est pas son seul interlocuteur ni le plus qualifié dans ce domaine.

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Ce n’est donc guère surprenant si les rubriques les plus fournies de la déclaration du sommet franco-britannique sont celles portant sur la défense et la politique internationale. Les accords de Lancaster House de 2010, qui définissent la coopération en matière d’armes nucléaires, de déploiement de forces armées et de transferts de technologie, y sont rappelés. On fait grand cas aussi des cadres en dehors de l’UE où la coopération militaire ou stratégique se fait, allant de l’OTAN aux deux dadas personnels d’Emmanuel Macron : l’Initiative européenne d’intervention, lancée en 2018, qui regroupe 13 pays membres, dont le Royaume Uni, et la Communauté politique européenne, la plateforme de dialogue entre 45 pays et organismes participants qu’il a lancée en 2022 et dont Londres accueillera la quatrième réunion en 2024. La France et le Royaume Uni se donnent pour objectifs d’approfondir l’intégration de leurs forces armées, de développer de nouveaux armements et systèmes de défense mettant l’accent sur l’interopérabilité, d’amplifier les échanges de personnel, et de renforcer la Force expéditionnaire commune interarmées. Non seulement le Brexit n’a pas mis fin à ce partenariat, mais Emmanuel Macron peut désormais se présenter comme celui qui fait la jonction entre l’UE et l’ex-État-membre mais toujours proche allié situé de l’autre côté de la Manche.

À part l’Europe, il y a une autre difficulté à régler pour M. Macron. La déclaration franco-britannique identifie des régions de la planète où la coopération stratégique en matière de politique étrangère sera cruciale. Parmi celles-ci, le Moyen Orient et l’Afrique, cette dernière étant le sujet d’un certain nombre des préoccupations de la France à l’heure actuelle. Mais une place considérable est accordée à la région indopacifique, non seulement à cause de son importance économique, mais aussi parce que, selon la déclaration, il faut contrer le « défi » que représente la Chine pour « l’ordre international fondé sur le droit ». Certes, les deux anciennes puissances impériales, la France et le Royaume-Uni, qui sont présents dans cette région, devraient faire de bons alliés. Pourtant, le pacte AUKUS entre l’Australie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, dévoilé en septembre 2021, a constitué à la fois un choc et une insulte pour M. Macron. L’Australie a annulé son contrat avec la France pour la construction de nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque. Il s’avère que ces sous-marins seront construits en Australie d’après un modèle britannique. Pourquoi un tel camouflet à la France ? La conséquence d’une inadvertance coupable ou un reproche adressé à Emmanuel Macron pour avoir sous-estimé l’inquiétude inspirée par la Chine ? Ce lundi 13 mars, Rishi Sunak sera aux Etats-Unis avec les dirigeants américain et australien pour annoncer certains aspects concrets de leur pacte. Il est à espérer que le sommet franco-britannique aura permis dans une certaine mesure d’apaiser les tensions avec la France et de mettre les quatre (plutôt que les trois) alliés d’accord sur leur stratégie indopacifique. M. Macron aura bientôt l’occasion de montrer s’il est complètement d’accord avec son « ami » britannique : il est censé visiter la Chine début avril.




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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