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La cavale des maudits

Yves Pourcher publie "L’Exil des collabos : 1944-1989" (Les Éditions du Cerf, 2023)


La cavale des maudits
© Archives nationales

Dans L’exil des collabos, Yves Pourcher retrace le destin des principaux acteurs de la Collaboration politique et littéraire.


La France de Vichy s’effondre en août 1944. La roche Tarpéienne n’est pas éloignée du Capitole. Pétain, Laval et ses ministres, les chefs de police, patrons de presse, écrivains, artistes vont très vite le vérifier. Ils doivent fuir pour éviter la prison, le lynchage, la mort. Peu importe de savoir si la collaboration avec l’Allemagne nazie pouvait trouver une quelconque justification. L’Histoire est écrite par les vainqueurs. Ils appartiennent dorénavant au camp des vaincus. La nuit s’abat sur eux. Certains, fort peu nombreux, préfèrent rester en France et préparer leur défense. 

C’est le cas de Robert Brasillach, écrivain fasciste, rédacteur en chef de l’hebdomadaire collaborationniste et antisémite Je suis partout. Il reste fidèle à son engagement. De Gaulle refusera de le gracier. Il sera fusillé le 6 février 1945 en criant « vive la France ! » Pour les autres, c’est l’exil, la traque sans relâche, l’arrestation, la prison, la rafale de mitraillette. Ils tombent sous le coup de l’article 75. On les accuse d’intelligence avec l’ennemi, formule oxymorique. 

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Pour la plupart d’entre eux, l’exil commence à Sigmaringen. Louis-Ferdinand Céline – avec Lucette, sa femme et Bébert le chat – est du voyage. Dans le roman D’un château l’autre, il va se faire le chroniqueur inspiré de cette « galopade des perdus » qui échoue sur les bords du Danube. Ceux qui croyaient dominer le monde dans l’ombre de Hitler ne sont plus rien mais conservent les travers des puissants. Les fantômes commandent à des fantômes.

L’historien et romancier Yves Pourcher a écrit plusieurs ouvrages consacrés au régime de Vichy. Il signe un nouveau livre passionnant qui retrace l’exil de collabos célèbres. Parmi les figures les plus intéressantes, on retiendra celles de Marcel Déat et du comédien Robert le Vigan. Déat (1894-1955) a tout pour réussir, l’intelligence, l’ambition, l’érudition. Il est un valeureux soldat durant la Première Guerre mondiale, à l’instar de Céline. L’horreur des tranchées fait de lui un pacifiste acharné. En 1936, il participe à la majorité du Front populaire. Face à la menace de la guerre, il écrit un retentissant article, le 4 mai 1939 : « Mourir pour Dantzig ? ». Aujourd’hui, on attend qu’un intellectuel écrive : « Mourir pour Kiev ? », dans le but d’offrir enfin un débat contradictoire sur le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine soutenue ardemment par l’UE et l’OTAN. Fondateur du Rassemblement national populaire en 1941, farouchement anticommuniste, le normalien Marcel Déat soutient la politique collaborationniste de Pierre Laval. Il échappe de peu à trois attentats. C’est un dur à cuire. Contraint de quitter la France en août 1944, avec son épouse Hélène, et après plusieurs refuges à l’étranger, il finit sa vie dans un monastère italien près de Turin. Homme de gauche devenu fasciste, son parcours n’est pas unique. Durant sa cavale, il faillit être arrêté de nombreuses fois. Mais de Gaulle, qui avait chargé Déat de rendre un rapport sur la modernisation de l’armée de métier durant l’entre-deux-guerres, savait qu’il tenait un monumental journal capable de faire tomber de nombreuses têtes. Ce que le Général ignorait, c’est que Déat, dans sa fuite, avait dû le cacher sous un rocher, en montagne. La vie de Marcel Déat mériterait un roman. 

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Comme celle de Robert le Vigan (1900/1972), camarade montmartrois de Céline et Marcel Aymé, partenaire de Jean Gabin à l’écran. Il avait interprété le Christ dans Golgotha (1935), de Julien Duvivier. Durant l’Occupation, il participe régulièrement à une émission sur Radio-Paris, tourne dans des films produits par la Continental (compagnie à capitaux allemands), adhère au Parti populaire français de l’ex-communiste Jacques Doriot. On le croise à Sigmaringen, en compagnie de Céline et Bébert – C’est lui qui l’avait déniché à La Samaritaine. Il a chopé les oreillons. Il dit qu’il entend des cloches. Il tourne fou. Il achève sa misérable cavale en Argentine, ses petits yeux bleus tout tourmentés, car il se prend pour le Christ, le rôle de sa vie.

Tous ces collabos le furent pour de multiples raisons. C’est ce que nous apprend le livre de Pourcher, qui jamais ne juge. Mais tous connurent la même fin, celle d’être des maudits de l’Histoire. 

L'exil des collabos - 1944-1989

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Yves Pourcher, L’Exil des collabos : 1944-1989, Les Éditions du Cerf.




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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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