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Portrait de ville du 3ème type

«Grand Paris», un film de Martin Jauvat, au cinéma le 29 mars 2023


Portrait de ville du 3ème type
© Ecce Films

Voilà ce qui s’appelle un « film d’auteur ». Comédien, scénariste, réalisateur, le tout jeune et bien doué Martin Jauvat s’est déjà fait connaître par deux courts métrages, Mozeb, et Les vacances à Chelles
Pour son premier « long », ce natif de la banlieue reste en terrain connu: ce qu’il est convenu d’appeler emphatiquement le Grand Paris – le titre vaut programme.  
Une paire de branques issus du 93, Leslie (Mahamadou Sangaré) et Renard (Martin Jauvat), meilleurs potes et glandeurs intégraux, se retrouvent à poireauter dans la petite gare de Saint-Rémy-les-Chevreuse, chargés d’un deal médiocre qui part en eau-de-boudin. Amorce, pour les deux lascars (le premier, noir à dreadlocks en survet à l’enseigne du « Grand Paris », le second, blanc-bec binoclard, brun aux mèches jaune canari) d’un périple en grande couronne, qui les conduira de l’arrêt La Hacquinière, à Bures-sur-Yvette, dans les Yvelines, jusqu’à Cergy-Pontoise et son fameux Axe majeur, en passant par les Lilas, Romainville et sa tour, et autres stations peu engageantes :  dérive d’un jour et d’une nuit, ponctuées de rencontres improbables, dans ce territoire dénaturé de l’Ile-de-France investi par le tentaculaire chantier périurbain du « Grand Paris Express », la future ligne de métro sensée connecter entre elles les périphéries sans cesse extensibles de la capitale. De la banlieue, il va sans dire que nos deux compères ont l’idiome classique en bouche à chaque réplique (« ma gueule », « frérot », « de ouf », « j’suis grave chaud », etc.). Sur ce registre, il faut reconnaître au film un vérisme croustillant. 

Martin Jauvat et Mahamadou Sangaré © Ecce Films / JHR Distribution

Fil conducteur de cette échappée belle, un mystérieux « artefact » en forme de galette hiéroglyphée, ramassé par hasard par nos deux débiles dans les eaux qui baignent la souche d’un viaduc de béton en construction, promis à recevoir les rames de ce fameux métro du XXIème siècle. Derrière l’aimable loufoquerie et la dérision souvent hilarante d’un road-movie dont les étapes nous feront croiser un  étudiant à Sciences Po sans le physique de l’emploi, une jeune fille pavillonnaire et rappeuse, un livreur « bac + 3 » de sandwich en camionnette, un archéologue amateur féru de complotisme et accessoirement contrôleur de la RATP, Grand Paris se signale surtout comme un « portrait de ville » gentiment acide. Panoramiques, longs travellings diurnes et nocturnes, nous peignent un univers de plots, de palissades, de grues, de tours, de friches urbaines, dans la désolation duquel la caméra désenchantée de Martin Jauvat se balade: à pinces, en train, en voiture, en moto… jusqu’au terme de cette odyssée morose et drolatique, lorsque prend consistance le rêve de fuir la cité pour un bain de mer. Mais aussi, dans un dénouement onirique, inventif et farceur, pour atteindre au nirvana extraterrestre, la galette magique offrant à Leslie et Renard une rencontre du 3ème type.  

Grand Paris. Film de Martin Jauvat. Avec Mahmadou Sangaré, Martin Jauvat, William Lebgjil, Sébastien Chassagne. France, couleur, 2022.  En salles le 29 mars 2023.



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