Le nouvel essai de Sonia Mabrouk appelle les Occidentaux à renouer avec le sacré, cet absolu qui nous échappe. C’est une nécessité dont dépend notre avenir.
Sonia Mabrouk, qui parle si bien des autres, parle encore mieux d’elle-même. En quelques pages, on lit avec émotion ses souvenirs de Djerba ou de Turquie. La mémoire de la talentueuse journaliste vient peut-être de l’autre côté de la Méditerranée, là où le muezzin remplace le son des cloches, mais on comprend vite que c’est le même langage. Peu importe qu’il s’agisse d’une synagogue, d’une mosquée ou d’une église, au fond, la solennité du sacré est universelle.
Sonia Mabrouk l’ignore peut-être, mais il est une chose qu’elle dénonce avec fermeté, c’est le remplacement camusien, central dans la pensée du châtelain de Plieux. Le premier remplacement décrit par Mabrouk (le mot est utilisé), c’est celui du sacré par la science, la science qui s’empare du rationnel pour l’ériger en nouvelle religion. Sauf que, et la journaliste l’explique très bien, la science ne peut pas être une religion, en ce sens qu’elle cherche à anéantir le sacré. Faut-il s’opposer à la science ? En aucun cas, si la science accepte de coexister avec le sacré, avec l’inexplicable, avec l’irréductible irrationnel.
Le vide trouve également son importance chez Sonia Mabrouk : le vide, ce peut être la profondeur d’un livre, ce peut être l’immensité paisible et la fraîcheur d’une église de campagne ; il est si paradoxal et si beau qu’il nous comble entièrement.
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Ce n’est pas tant que « ce qui se paie n’a guère de valeur », c’est plutôt que ce qui ne s’achète pas est infiniment plus précieux. Ainsi, « en misant sur un matérialisme postmoderne, ils [les Européens] précipitent leurs peuples dans l’abîme ». Le confort matériel étant devenu l’horizon indépassable des sociétés consuméristes contemporaines, il nous est nécessaire de revenir au sacré pour le dépasser. Aussi, l’idée de « dépossession », particulièrement mise en valeur au cours de l’année 2022, fait-elle surface : « Ne devenons pas des dépossédés du sacré ».
Le sacré : boussole civilisationnelle
Décrivant « l’atonie » des chrétiens d’Occident, qui ont honte de leur foi, Sonia Mabrouk appelle à leur éveil. Le président turc Erdogan, lui, n’hésite pas à faire du sacré un moyen puissant d’unification de son peuple, dirigé vers une chrétienté européenne affaiblie, fatiguée, qui ne croit ni en Dieu ni en elle-même. « Aujourd’hui, la modernité et le nihilisme nous éloignent de plus en plus de l’animal métaphysique que nous étions. » Sans verticalité, sans hauteur de vue, matérialiste, l’Occidental n’est plus au centre du monde : il perd ce qui faisait sa valeur, cet universel qu’il n’est plus capable d’imposer.
Alors, il nous faut apprendre à renoncer pour reconquérir – ensemble et seul – le sacré. Renoncer au contrôle de tout, au raisonnable ou au rationnel partout. Renoncer, se laisser aller, et surtout, se poser des limites. L’élégance du renoncement, le retour au sacré : voilà bien ce qui a sauvé Sonia Mabrouk, et qui pourrait nous sauver. Car enfin, nous pourrons répondre à cette question qui nous tourmente tous : « De ce que nous avons aimé, que restera-t-il ? »
Sonia Mabrouk, Reconquérir le sacré, éd. L’Observatoire, 2023.