Bertrand Tavernier est partout en ce moment. Sur les plateaux de télévision pour promouvoir son dernier long-métrage en date, la comédie politique à succès Quai d’Orsay ! Il est à Lyon pour animer l’Institut Lumière et le Festival du même métal qui a honoré des cinéastes aussi variés que Ken Loach, Quentin Tarantino ou Clint Eastwood. Bertrand Tavernier est aussi – simultanément – dans l’Amérique de ses songes, celle d’Hollywood et des grands espaces. Le réalisateur de Coup de torchon (qui est une sorte de western africain…), nous avait déjà rapporté de ces contrées lointaines une bible encyclopédique : 50 ans de cinéma américain, réservant naturellement une large part aux westerns. Mais le grand ouest, et sa mythologie parfois noble, souvent cruelle, a donné aussi d’excellents romans qui, pour certains, ont inspiré des scénarios de films légendaires. Actes Sud a donc demandé à Bertrand Tavernier de sélectionner des romans westerns marquants afin de les présenter au public français.
« J’ai choisi ces textes pour leur originalité – explique le réalisateur -, pour leur fidélité aux évènements historiques, pour leurs personnages attachants, le suspense qu’ils créent, mais aussi pour leur art d’évoquer des paysages si divers dont leurs auteurs sont amoureux : Oregon, Dakota, Texas, Arizona, Wyoming… »
Premier volume de cette collection prometteuse, et première excellente surprise : Terreur Apache de William Riley Burnett (1899 – 1982). Plus connu pour ses polars (Asphalte jungle, The little Caesar) ou son travail dans les mines de sel hollywoodiennes (il a contribué aux scénarios de La grande évasion et de Scarface – celui de 1932), Burnett s’est aussi adonné avec bonheur à ce genre plus typiquement américain : le roman western, ou plutôt l’épopée western. Dans l’Arizona de la fin du XIXème siècle, le grand éclaireur Walter Grein, franc-tireur taciturne et solitaire, est mandaté par les autorités pour retrouver et neutraliser le chef Apache Toriano, qui est à l’origine d’une rébellion violente. Avec une poignée de fidèles, tous aussi marginaux que lui, Grein se lance dans une chasse à l’homme haletante émaillée d’épisodes élégiaques, où les protagonistes (blancs ou Apaches) ne font plus qu’un avec la campagne de l’Ouest profond, sa nuit étoilée, sa nature inquiétante, son horizon plein de promesses. Une chasse à l’homme qui, peu à peu, vire à la chasse à l’humain – tant Burnett sait souligner les enjeux presque métaphysiques qui se cachent derrière cette sombre quête de l’autre, sur cette terre promise sauvage. Burnett comparait les Apaches aux spartiates de la Grèce ancienne, avec leur âpreté, leur sens du combat, leur fierté collective ; et il voyait assurément le récit de la conquête de l’ouest comme une épopée. Et l’on sait, depuis Homère, que si les épopées commencent généralement par des guerres effroyables, elles se terminent toujours par le récit plus intimiste du destin d’un homme confronté aux autres et surtout à lui-même.
Terreur Apache est aussi une galerie de portraits vivants et sans concession (jusqu’à un certain cynisme) des hommes et des femmes qui ont fait l’ouest américain, avec leur part de mythologie : ses piliers de saloons, ses palefreniers, ses bureaucrates grotesques, ses cow-boys crottés, ses gradés de l’arrière, ses superbes indiennes vénéneuses, et ses aventuriers perdus… Partout l’auteur arrive à donner de l’épaisseur aux personnages par un sens inspiré de la description… Le réalisateur John Huston voyait les romans de Burnett comme habités d’un « étrange sentiment d’inéluctabilité, de fatalité, qui s’impose au fur et à mesure qu’on approfondit, qu’on rentre à l’intérieur des personnages… » Et l’on y pénètre jamais par la faille trop facile de la psychologie, mais par les interstices plus délicats du comportement, de l’attitude, des mimiques et des silences.
Quant à l’Arizona, il n’a pas à se plaindre. L’action se déploie dans des atmosphères partout suggestives, rendant hommage à la beauté pure des lieux… tel ce lever de soleil qui vaut par avance toutes les adaptations cinématographiques : « La lumière se déployait peu à peu. A l’est, le ciel se teintait d’or et de rose, et de minces traînées de nuages rouges flottaient sur les montagnes qui renaissaient à la couleur. Dans chaque buisson un oiseau chantait, célébrant avec bonheur la fin de la nuit. (…) Enfin, le soleil se leva, inondant un canyon de son aveuglante lumière. L’ombre des arbustes étincelants de rosée s’allongeait sur le sol. Chuck (le cheval de Grein) hennit pour accueillir l’astre montant ».
Le critique américain Andrew Sarris déclarait « W.R. Burnett a inspiré davantage de bons films que Dostoïevski ». Il n’avait pas tort. L’adaptation de Terreur Apache au cinéma a pour titre Le Sorcier du Rio Grande. Ce film, réalisé par Charles Marquis Warren en 1963, avec Charlton Heston dans le rôle de l’éclaireur et Jack Palance dans celui de l’Apache indomptable, trahit quelque peu l’esprit du roman, ajoutant çà et là des accents mélodramatiques et s’éloignant de la sobriété propre à l’univers de Burnett. Le réalisateur qui parvient le mieux à saisir les ombres et entrelacs de l’auteur de Terreur Apache est Robert Aldrich qui réalise une variation sur l’histoire de Burnett en 1972 : Fureur Apache (Ulzana’s Raid). Bertrand Tavernier, dans la postface qu’il signe, y voit le plus grand western des années 70. Une séance de visionnage s’impose après avoir refermé le livre de W.R Burnett. Le second opus de la collection est déjà en librairie : Des clairons dans l’après-midi d’Ernest Haycox, un écrivain admiré par Hemingway et adapté au cinéma par John Huston et Cecil B. de Mille. Excusez du peu ! L’Ouest n’a pas fini de nous fasciner…
*Photo : Le Sorcier du Rio Grande.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !