Le malaise des médecins libéraux révèle une maladie bien française: celle de l’étatisation de notre système de santé, qui pourrait encore s’aggraver avec le projet de « tiers payant intégral »
Depuis quelques semaines, nombre de médecins français font grève. Après les mouvements des 1er et 2 décembre, puis la fermeture des cabinets entre Noël et le jour de l’An, ils ont de nouveau, le 14 février, manifesté leur mécontentement. Et les raisons sont nombreuses !
Tout d’abord, ils sont vent debout contre une nouvelle proposition de loi de la majorité. Votée à l’unanimité en première lecture le 19 janvier, elle pourrait permettre aux patients de s’adresser directement à certains professionnels paramédicaux, sans passer par le médecin traitant. Les généralistes craignent de disparaître en tant que coordinateurs du parcours de soins.
La médecine « libérale » n’existe pas
Les généralistes se mobilisent aussi contre une nouvelle proposition de loi portée par un député socialiste qui prévoit d’abolir leur liberté de s’installer où ils le souhaitent pour lutter contre les « déserts médicaux ». Une immixtion de la puissance publique dans la vie privée inefficace selon les professionnels, qui estiment que l’incitation et surtout, la mise en œuvre d’un environnement propice (écoles pour les enfants, meilleures rétributions…) pourraient être bien plus efficaces.
Enfin, ils craignent que la prochaine convention médicale, qui établira les tarifs de la profession pour les cinq prochaines années, ne change strictement rien : la consultation est à 25 euros, l’une des rémunérations les plus basses d’Europe (45 euros en moyenne), qui n’a pas été révisée depuis 2016. On leur propose une augmentation de… 1.50 euros.
Les médecins ont raison. Ils sont victimes du système français de santé qui est un monopole d’État. On parle de médecine libérale mais, en réalité, il n’y a pratiquement aucune liberté nulle part. C’est le dirigisme qui règne : les tarifs sont rigides, le nombre de praticiens, limité, le salariat, étatique et les objectifs de résultats, nationaux. La santé en France est aujourd’hui un secteur entièrement régulé. Tout est figé, rien ne peut bouger et il n’y a pas plus de place pour d’éventuels nouveaux acteurs que de nouveaux lits aux urgences.
L’État veut avaler les complémentaires santé
Pire, l’État veut aussi phagocyter les mutuelles privées : un projet du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) laisse craindre que l’acquittement du ticket modérateur, dont la responsabilité incombe pour le moment aux complémentaires, soit confié à l’Assurance maladie. Un transfert du privé au public, donc, qui pourrait se concrétiser dans le courant de cette année. Une grande partie de dépenses de santé, des médicaments aux soins de ville, du reste à charge hospitalier aux lunettes, serait désormais non plus partiellement, mais intégralement remboursée par la Sécurité sociale. Cette mesure concernerait plus de 96% des Français, environ 400 organismes d’assurance complémentaire santé et plus de 60 000 emplois. Les mutuelles pourraient alors tout simplement disparaître.
Pourquoi cet acharnement ? Parce que, c’est un comble, l’État reproche aux mutuelles leurs tarifs et frais de gestion ! Il entend, pour remédier à cette déplorable situation, les faire fondre dans une « Grande Sécu », une sorte de chaudron d’où sortirait en quelque sorte une potion magique. C’est donc notre État avec son armée de fonctionnaires, notre État obèse, omnipotent et impuissant, notre État champion du monde des taxes, des impôts et des dépenses, qui s’inquiète des coûts et de la gestion des mutuelles ! L’hôpital qui se fout de la charité.
Or, le secteur des mutuelles fonctionne bien. C’est un service qui peut en effet être assez coûteux, mais il est modulable selon la situation de chacun, efficace, et ses avantages sont appréciables, surtout pour les couples avec enfants. D’ailleurs les Français ne s’en plaignent pas.
Il faut donc considérer cette initiative comme très inquiétante. D’une part, priver les Français de leur mutuelle, c’est les déresponsabiliser encore davantage. D’autre part, où s’arrêtera-t-on ? Le constat a pu être fait par tous en 2020, au début de la pandémie : malgré tout l’argent qu’il a dépensé, l’État a failli. Il n’a rien réformé pour autant. Mais il est resté aussi affamé et veut maintenant engloutir les complémentaires santé. La fiscalité qu’il leur applique, 15% par contrat souscrit, ne lui suffit plus. À quoi devrons-nous nous attendre demain ? À l’étatisation des assurances auto ? À la nationalisation des assurances habitation ?
Le système de santé français n’est pas déficitaire à cause des mutuelles. Elles ne sont pas non plus à l’origine de la crise des hôpitaux. Et l’argent ne manque pas. Il n’y a pas de bouc émissaire, la principale responsable est bien la désorganisation de l’État. Dans d’autres pays comparables au nôtre, riches et démocratiques (Allemagne, Pays-Bas, Suisse…), l’assurance maladie est confiée pour une large part à structures privées qui sont mises en concurrence. Les médecins n’y sont pas dirigés à la baguette par l’État, ils peuvent exercer librement, sans réglementations excessives. Pourquoi ne pas étudier comment les choses se passent ailleurs et s’en inspirer ?