Actuellement à l’affiche au théâtre de Passy, cette pièce captivante relate la relation entre Paul Morand et Coco Chanel, qui ont tous deux fui la France au lendemain de la guerre. L’écrivain est alors chargé d’écrire les mémoires de la couturière, dont l’ancien amant nazi réapparaît soudainement…
Janvier 1946, au Beau-Rivage, un palace de Lausanne. La célèbre Coco Chanel se confie pour la postérité à un ami de 25 ans, l’« immortel » Paul Morand1. Les temps sont difficiles pour nos deux exilés suisses, qui se sont compromis jusqu’au cou sous l’Occupation et tâchent de se faire oublier sur l’autre rive du Lac Léman. On ne sait qui est le plus coupable des deux.
Sans Churchill, elle était tondue
L’une a profité de la guerre pour mettre à la porte les 4 000 petites mains de sa maison de couture, qui avaient eu l’outrecuidance de se mettre en grève au temps du Front Populaire (l’épisode n’est pas évoqué dans la pièce). Profitant des lois anti-juives, elle a tenté en vain de récupérer les droits des parfums Chanel, détenus à 90 % par les frères Wertheimer, puis s’est consolé dans sa suite du Ritz (réquisitionné par la Luftwaffe) aux bras d’un jeune aristocrate allemand qui travaille pour la Gestapo. Elle va même se mettre au service de l’Abwehr et rencontrer à Berlin en avril 1943 le SS-Brigadeführer Walter Schellenberg (dont elle paiera plus tard les obsèques2). Le bras droit d’Himmler espère se servir de l’ancienne maîtresse du duc de Westminster et amie de Churchill pour négocier une paix séparée avec l’Angleterre. Arrêtée dans son palace de la place Vendôme par les FFI à la Libération, Coco évitera la coupe à la garçonne un peu bâclée grâce à l’intervention en haut lieu du « Vieux Lion »3.
A lire aussi: Quand la Roumanie exportait ses Juifs
L’autre est un Munichois et un Vichyssois de la première heure, dont l’aversion pour le « colonel Gaulle », à qui il dénie et la particule et l’étoile, n’a d’égale que celle pour les « youtres », qu’il vomira jusqu’à la fin de sa vie (dans son Journal inutile et sa longue correspondance avec Chardonne publiés post mortem). Décoré de la Francisque, l’écrivain prend la plume pour la presse collabo en général et le si bien nommé La Gerbe en particulier, se met au service de Pierre Laval4 avant de se faire nommer ambassadeur à Bucarest, où le maréchal Antonescu extermine les Juifs par dizaines de milliers…
Une pièce rythmée
Catherine Silhol incarne à merveille une Chanel élégante (forcément), caractérielle et frivole. Journaliste politique côté jardin, Christophe Barbier prouve que le métier d’acteur est désormais bien plus qu’une seconde peau en se mettant de façon convaincante dans celle de « l’homme pressé »5, parfois étonnamment prévenant avec la grande couturière. Il faut dire que Coco paie grassement. Dans la seconde partie de la pièce surgit Hans Gunther von Dincklage, joué par Emmanuel Lemire : l’amant nazi en fuite lui aussi, intéressé lui aussi, a troqué la schlague pour la raquette de tennis. Momentanément du moins. Il y a enfin l’obséquieux majordome du Beau-Rivage, campé par Thomas Espinera, qui oubliera soudain son devoir de réserve pour dire ses quatre vérités à Monsieur et Madame. Une effronterie qui changera son existence. On n’en dira pas plus histoire de ne pas « spolier » l’épilogue, un barbarisme que n’aurait certainement pas validé Paul Morand qui, quoi qu’on en pense, avait du style, lui. Thierry Lassalle signe là une pièce captivante, rythmée et non dénuée d’humour.
Mademoiselle Chanel, en hiver. Au théâtre de Passy du mercredi au samedi à 21h, le dimanche à 16h.
[1] Paul Morand entrera à l’Académie française en 1968.
[2] En 1951, peu après sa sortie de prison.
[3] « Sans Churchill, elle était tondue », confiera par la suite son amie Edmonde Charles-Roux
[4] Lors du retour au pouvoir de Pierre Laval en avril 1942, Paul Morand est nommé à la présidence de la commission de censure cinématographique, puis au cabinet du chef du gouvernement de Vichy, dont il écrit notamment les discours.
[5] Du nom du célèbre roman de Paul Morand, adapté au cinéma en 1977 avec Alain Delon dans le rôle-titre.