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France qui bosse, France qui glande

Reportage à Épernon (28)


France qui bosse, France qui glande
Le 16 janvier 2023, à la veille de la contestation contre la réforme des retraites, Causeur a pris ses quartiers au Royal. © Sophie Rierba

Dans un bar-tabac de la France périphérique, on croise des ouvriers venus casser la croûte, des retraités méritants. Mais aussi des jeunes qui passent leurs journées entre jeux de grattage et paris hippiques, aux frais du contribuable. Reportage à Épernon, en Eure-et-Loir.


On sait ce que politiques et syndicalistes pensent de la réforme de la réforme des retraites. Mais les habitants de la France périphérique ? Dans l’Eure-et-Loir, la ville d’Épernon et ses 5 500 âmes ne sont qu’à quarante minutes en train de Montparnasse, mais on s’y sent loin de Paris. La ville est coupée par le chemin de fer et pratiquement tous les commerces se trouvent du côté nord. Remontant la départementale 4, on tombe sur le premier café. Devanture verte, c’est un PMU, banco ! Le Royal est ouvert tous les jours, de 6 h 30 à 20 h 30. Ce bar-tabac, café et presque magasin de presse accueille les parieurs de quinté, les gratteurs d’Astro et les bons copains du coin. Derrière le comptoir, le lundi à 8 h 45, Ida. Employée ici depuis ses 19 ans, cela fait trente-trois ans qu’elle sert petits noirs, galopins et perroquets. C’est une star, pratiquement l’unique présence féminine du bar et, surtout, la concierge indiscutable de la région, de Nogent-le-Roi à Gallardon. Accoudé au zinc, entre la tireuse à bière et la machine qui donne les résultats des tickets Amigo, on n’attend pas plus d’une minute pour un noisette. Il est tôt, quelques-uns sont déjà à la bière Pelforth dans un coin avec, sous les yeux, L’Écho républicain ouvert à la page des mots-croisés. D’autres sont assis autour des tables, se racontant le week-end avec les petits-enfants ou la sortie sur Rambouillet. La majorité de la clientèle est certes retraitée. Néanmoins, dans une salle au fond du bar dédiée aux courses, plusieurs trentenaires sont réunis. Ils parient inlassablement, un matin de semaine.

Ceux qui ont un métier pénible. Et ceux qui ne font que «gratter»…

Un peu plus tard, des ouvriers en bâtiment, qui rénovent une maison dans la rue d’à côté, blancs de poussière, passent pour une pause. Tout le monde a le dos tourné au gigantesque écran, qui diffuse en continu BFM TV sans le son. Bruce Toussaint commente justement la réforme des retraites. Ça tombe bien, c’est le sujet que nous souhaitons aborder avec toute cette petite société. Mais le premier homme accosté, un peu rougeaud, refuse catégoriquement de parler à une journaliste. Il conseille d’attendre le « danseur ». Lequel fait vite son entrée dans l’établissement. Approché, il sourit et se prête plus facilement au jeu. Jean-Paul, 72 ans, ancien communiste qui vote désormais pour Marine, dit d’emblée que non, il ne veut pas de cette réforme. Il est retraité depuis quelques années maintenant, mais refuse ce recul de l’âge des retraites pour les générations suivantes. Marcel et Jean-Jacques, qui nous entendent, eux aussi des « vieux de la vieille » retraités depuis plus de dix ans, sont également indignés. Et il en va de même pour Michel, vétéran de la guerre d’Algérie et ancien paysagiste qui tient tout juste sur ses jambes. Pour eux, qui ont commencé à travailler vers 14 ans, il est révoltant de faire travailler plus longtemps. Ce n’est pas tant l’idée d’un chiffre butoir (64 ans) qui pose problème, que la durée de travail et les cotisations qui seront imposées. Paul, 46 ans, maigre et les traits tirés, est employé en pâtisserie, chocolaterie, confiseries et glaces. Il approuve ses aînés : « Les personnes qui ont commencé tôt comme moi, elles sont foutues arrivées à la retraite. On est bien fatigués. » Il dit qu’il n’a jamais cessé de travailler depuis ses 15 ans, il semble en avoir déjà 60.

A lire aussi : Une retraite ? Plutôt crever

Ici, tout le monde est d’accord : les travailleurs aux tâches pénibles devraient accéder à la retraite plus tôt que « ceux qui foutent rien ». À la table des ouvriers en bâtiment, Romain, Polo et Jordan pestent contre l’assistanat. Ils ne supportent plus ces gens « qui n’ont qu’à se lever le matin […], ils sont là, au bar à dépenser les Assedic. Ce sont les premiers dans le bistro à gratter des tickets de jeu, alors qu’ils n’ont pas de travail. » Relancés, ils trouvent que le système social français est quand même une chose formidable, mais qu’on ne devrait pouvoir en bénéficier que ponctuellement, et au cas par cas. Ceux qui ne font pas d’efforts ne devraient pas recevoir des aides « gratuitement ». Lorsqu’on lui demande de quel bord politique il est, Romain répond, résigné : « Je suis déçu, gauche ou droite, à notre niveau, ça ne change pas le problème. » Paulo est plus vindicatif : les politiques, il ne veut plus les voir, même à la télévision. « Ils ne font que causer entre eux, ils m’énervent. Ils ne connaissent pas le prix d’une brique de lait. » Au Royal, les citoyens ne font plus confiance aux politiques et encore moins aux journalistes, la plupart ne votent plus.

Les LR savent pourtant bien qu’il faut la faire, cette réforme…

Dans ce département, le conseil général, à gauche depuis 1907, est passé à droite en 1985. Aux municipales de Dreux, ce passage s’est opéré en 1983 grâce à une alliance transitoire entre le RPR et le FN. Le lendemain de l’élection, Jacques Chirac déclarait : « Cela n’a aucune espèce d’importance d’avoir quatre pèlerins du FN à Dreux comparé aux quatre ministres communistes au Conseil des ministres. » Ce qui n’a pas empêché l’ancienne maire socialiste de co-écrire un livre comparant Dreux à Northeim, ville allemande qui a vu la montée du nazisme en 1930. Sous la droite, Dreux a converti ses industries automobile et électronique en industrie pharmaceutique et a misé sur une politique culturelle ambitieuse.

Pierre-Frédéric Billet, maire LR de Dreux. © Sophie Rierba

Depuis 2020, Pierre-Frédéric Billet est le maire LR de la ville. Interrogé sur la réforme des retraites, il reconnaît que le moment est « extrêmement compliqué pour le faire ». En principe, Billet y est favorable, mais souhaite que les critères « de pénibilité soient clairement affichés ». Il pose aussi la question des étudiants, notamment ceux en médecine, dont les futurs postes sont largement à pourvoir. Leurs longues études reculent inévitablement la période de cotisation. Quant à l’assistanat, « même si nous avons un devoir de solidarité nationale envers les personnes inemployables, l’État n’a plus les moyens d’être aussi généreux aveuglément », surtout avec les pros qui exploitent la gamme des aides sociales. « Quelqu’un d’un peu intelligent et vicieux a un meilleur niveau de vie qu’un smicard. » Même son de cloche chez Céline, une bouchère drouaise. « Si c’est un choix de vie, il faut assumer sa feignantise et ne plus dépendre des autres. Mais tant qu’on paiera les gens à ne rien faire autant que ceux qui travaillent, les gens ne retourneront pas travailler. » De quoi dégoûter les honnêtes travailleurs comme cette commerçante qui trime soixante-dix à quatre-vingt-dix heures par semaine.

Février 2023 – Causeur #109

Article extrait du Magazine Causeur




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