L’espace culturel Louis-Vuitton, à Paris, a réuni un choix d’œuvres représentatives des principaux artistes roumains actuels, principalement des peintres. L’occasion de découvrir une école de peinture qui, loin des fantasmes de l’art contemporain, s’intéresse à ces expériences minimes qui constituent le tissu de notre existence.
La Roumanie est sans doute l’un des pays qui contribuent le plus au renouvellement de la figuration contemporaine. La ville de Cluj, en Transylvanie, à proximité de la Hongrie, y joue un rôle déterminant ; si bien qu’on pourrait parler d’école de Cluj, comme il y a une école de Leipzig. Les artistes de ce vivier roumain, la plupart jeunes, paraissent particulièrement dégagés des genres et des manières du XXe siècle. Ils fuient les picturalités tapageuses et les compositions saturées de délires. Leur peinture, apparemment plus sobre, est aussi plus réaliste. Elle pénètre la vie humaine avec probité et, disons-le, avec pertinence.
À l’image de Serban Savu (né en 1978) qui peint avec bonhomie la vie dans les banlieues héritées d’un collectivisme déchu, ou encore de Sergiu Toma (né en 1987) qui évoque le silence des existences ordinaires avec un lyrisme contenu. Bogdan Vlatudja (né en 1971) lui, brosse, à la manière d’Anselm Kiefer, la noirceur des déraisons urbanistiques, tandis que Mircea Suciu (né en 1978) signe la très belle peinture Leading the blind où l’Histoire se révèle comme coalescence des cécités. Enfin, Adrian Ghenie (né en 1977), malheureusement représenté par une seule toile, donne un aperçu de son talent à nous conduire dans l’intimité de la bestialité humaine.
On ne peut pas dire que ces artistes soient des nostalgiques de la période communiste. Ils semblent, au contraire, nourrir une méfiance instinctive pour tout ce qui est utopies, promesses d’avenir et beaux discours. Pourtant, alors que les savoir-faire figuratifs étaient laminés à l’Ouest, le réalisme socialiste, aussi contestable soit-il, assurait une sorte de transmission minimale des pratiques. Ce n’est sans doute pas un hasard si une bonne part des artistes figuratifs contemporains sont apparus dans d’ex-pays socialistes : Allemagne de l’Est, Russie, Roumanie, Chine, etc. Les artistes exposés à l’espace Louis-Vuitton sont cependant loin d’être réductibles à une filiation locale. Au contraire, ils brillent par leur aptitude à puiser dans des sources très éclectiques. Ici on sent des échos de Vermeer, là des caravagesques napolitains, là de Vuillard, là encore d’Éric Fischl ou de Michaël Borremans. Ces artistes roumains ne se sentent pas limités à ce cher vieux XXe siècle. Ils s’y intéressent, évidemment, mais sans exclusive. C’est ce qui s’appelle avoir une lecture intelligente de l’histoire de l’art.
Leur peinture peut donner l’impression d’un certain classicisme. Cependant, elle ne relève en rien d’un retour sommaire à la peinture d’histoire ou à la peinture anecdotique. Ce n’est pas non plus une de ces peintures de fantasme, comme il y en a eu tant au XXe siècle. Les fantasmes, surtout ceux des autres, à la longue, je trouve cela extrêmement ennuyeux. Les artistes roumains dont il est question s’intéressent plutôt à ces petits moments ou à ces expériences minimes qui constituent le tissu de notre existence. Généralement, on passe si vite sur ces parcelles de vécu qu’on ne s’en rend pas compte. Ces éléments de vie sont tout de suite mélangés à d’autres, pris dans le tourbillon des événements. Ils nous échappent, tout comme la vie elle-même. En s’y intéressant, ces artistes montrent de quoi l’existence est faite. Que demander de plus ? À voir donc de toute urgence…
Scènes roumaines, jusqu’au 12 janvier 2014. Espace culturel Louis Vuitton. 60, rue de Bassano ou 101, avenue des Champs-Élysées, Paris 8e.
*Photo : Oana Farcas, « Blue man ».
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