Salauds d’riches!
Quand le président François Hollande avait invoqué, pour son quinquennat, l’exigence de normalité, il avait été mal compris mais pourtant ce propos aurait mérité mieux que toute la dérision qui l’a accompagné. Certes, il ne s’agissait pas pour lui de suggérer l’obligation d’un juste-milieu entre haine des élites et misérabilisme, quoique son assertion aurait pu être déclinée de mille manières entre familiarité et arrogance, mollesse et autoritarisme, rareté et profusion… Ce qui se déroule depuis plusieurs semaines dans le pays comme dans la vie parlementaire montre à quel point une double tendance, présente dans notre esprit national bien avant le macronisme, n’a cessé de se développer, au point de constituer un véritable poison pour le débat démocratique.
Non merci, patron
La haine des élites a pris des proportions phénoménales, suscitée par une multitude de causes : envie et jalousie sociales, détestation des possédants, méconnaissance des processus économiques et politiques, refus d’assigner la moindre compétence et légitimité aux privilégiés du pouvoir et de l’argent, opprobre mécanique projeté sur des institutions comme par exemple l’ancienne ENA, ce qui permet à certains médiocres de se croire supérieurs à ceux qu’ils dénoncent, délits de « sale gueule » pour tel ou tel milliardaire (Bernard Arnault d’abord, infiniment visible par sa réussite et ses actions) qui a beau faire et démontrer, chiffres, publicité et argumentation à l’appui, ce que son groupe a accompli pour la France et dans le monde, rien jamais ne convaincra…
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Faut-il considérer qu’une partie de notre nation est irrésistiblement portée à pourfendre tout ce qui dépasse parce qu’ainsi serait violé le principe sacro-saint d’égalité, offrant le double avantage de stériliser la liberté et ses heureuses imprévisibilités et d’imposer le moins pour tous pour ne pas gratifier seulement quelques-uns du plus ?
Piques virtuelles
J’avoue que moi-même, j’ai frôlé cette aberration, voire que j’y suis tombé quelquefois. J’espère ne pas faire preuve de mauvaise foi quand je m’excuse au motif que la supériorité, le pouvoir et les privilèges, dans quelque secteur que ce soit, ne m’apparaissent répréhensibles que s’ils sont de mon point de vue, illégitimes. Quand l’incompétence est au rendez-vous. L’intolérable est de n’avoir jamais eu rien à prouver…
La haine des élites, sentiment extrême, vindicatif, fureur révolutionnaire portant virtuellement les piques au bout de ses vitupérations, serait déjà une totale anomalie dans un monde se croyant civilisé, s’affichant capable d’exprimer le fond de ses oppositions avec une forme acceptable, mais elle devient totalement incongrue et franchement ridicule en certaines circonstances quand elle éprouve le besoin de s’allier avec un misérabilisme qui atteint une démesure sans égale.
Quand j’entends la députée LFI Rachel Keke, en commission des Affaires sociales, lire un texte dont la seule argumentation consiste à reprocher à ses collègues députés d’autres groupes leur « mépris » parce qu’ils ne sauraient pas ce qu’est et fait une femme de ménage et ce que représente la tâche de s’occuper de 40 lits, c’est pathétique et, on n’ose pas l’affirmer, ridicule. Cette accusation d’une part n’a aucun sens et d’autre part l’Assemblée nationale est ainsi réduite à la confrontation d’expériences professionnelles antérieures dont de mon point de vue aucune ne vaut plus que l’autre.
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Évidemment, avec l’habituelle et inévitable démagogie du cœur et du misérabilisme (la modestie d’existence d’avant doit être forcément sanctifiée), aucun député n’a osé répliquer qu’elle était ignorante de la même manière des métiers de ses collègues…
Je suis d’autant plus à l’aise pour formuler cette critique que j’avais dans un premier temps pensé que l’arrivée de cette députée atypique ferait du bien au monde parlementaire en l’ouvrant à des quotidiennetés avec lesquelles il n’était pas familier. Encore aurait-il fallu, pour que j’aie raison, que la députée Keke sorte de son champ étroit… Non seulement ce n’est pas le cas, mais de cette pauvreté, elle fait une argumentation.
On a le devoir de ne pas confondre l’évidente dignité de principe de chaque être humain avec le nivellement forcé d’une approche paresseusement humaniste. Le misérabilisme fait du bien à ceux qui le savourent ; il ne garantit rien de plus, mais à rebours, que la haine des élites.
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