Un catalogue et une exposition au Musée des Beaux-Arts de Charleroi en Belgique pour fêter les 100 ans de la maison Dupuis
Dans ma jeunesse lointaine et rurale, deux écoles de pensée s’opposaient. Irréconciliables et sûres de leur ligne, porteuse chacune de valeurs différentes. D’un côté, les lecteurs du Journal de Tintin, adeptes de la ligne claire et d’une structure narrative charpentée ; de l’autre, Spirou Magazine plus ouvert au désordre héroïque et à la fable gaguesque. La jeunesse française était déjà, en ce temps-là, soumise aux directives belges. La bande-dessinée est belge comme l’Atomium a neuf boules et les frites sont plongées dans deux bains de cuisson. Incapable de choisir entre ces deux voies, j’achetais les deux hebdomadaires dans la librairie de mon village. Et il m’arriva plus d’une fois de succomber aux sirènes américaines en m’offrant le Journal de Mickey tout en me soumettant au marxisme ambiant de la Place du Colonel Fabien en acquérant Pif Gadget.
Charleroi, centre du monde
Idéologiquement, j’errais entre Hergé et Franquin, Rahan et Tintin, les Castors Juniors et Gaston Lagaffe, Clifton et Théodore Poussin. J’étais papivore comme d’autres sont aujourd’hui fructivores. Plus tard, ayant attrapé le virus de la planche, je fus de toutes les aventures, de Charlie Mensuel à L’Écho des savanes jusqu’A suivre. Que reste-t-il de mon idéal franco-belge ?
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Les héros, pardi ! Natacha, Gil Jourdan, Champignac, Yoko Tsuno, Jérôme K. Jérôme Bloche, Starter, Buck Danny et tant d’autres. Les éditions Dupuis célèbrent leur centenaire par une exposition intitulée « La Fabrique de héros » (100 ans de 9ème art au pays noir) visible au Musée des Beaux-Arts de Charleroi jusqu’au 30 juillet 2023 et la sortie d’un livre-catalogue sous forme de dictionnaire signé José-Louis Bocquet et Serge Honorez. De l’achat par Jean Dupuis, imprimeur à Marcinelle de la première presse à pédale en 1896 à l’invention de la BD moderne, de la parution du « Moustique » à Michel Vaillant sur grand écran, cette folle aventure nous est contée. Comment Marcinelle, section de la ville de Charleroi est-elle devenue aussi célèbre que la gare de Perpignan ? Car, le centre du monde de la BD se situe bien là.
Un empire de la presse jeunesse soutenu à bout de bras par un groom, des lutins bleus, une hôtesse de l’air en mini-jupe, une électronicienne japonaise, un cocker avec toute sa famille réunie ou des soldats de la guerre de Sécession. Ce récit est une plongée dans l’édition pour enfants qui n’a cessé de vouloir s’émanciper et refuser les cases, mais également une lutte économique à coups de rachats et une mise en concurrence féroce entre les dessinateurs. Sans oublier l’évolution des lois sur la censure et les habitudes de lecture qui changèrent avec l’arrivée de la télévision puis des mangas. La reconnaissance d’un véritable métier a été à la manœuvre chez Spirou. Dans ce recueil, vous retrouverez les princes du genre, les seigneurs qui ont inventé et surtout construit notre imaginaire, semaine après semaine, ils s’appellent Franquin, Peyo, Morris, Tilleux, Macherot ou le rédacteur en chef, le barbu et non moins virtuose Yvan Delporte (1956-1968). Vous apprendrez comment le Marsupilami est né ou comment « le Trombone illustré » est sorti de cave durant seulement 30 numéros, de mars à octobre 1977.
Les Amis de Spirou
Et puis comment cette presse a réussi à fidéliser son jeune public en créant, par exemple, le club des Amis de Spirou (A.D.S), confrérie entre scoutisme et code d’honneur, ou comment les invendus vont être reliés et recyclés en recueil afin de devenir de gros albums et conquérir ainsi d’autres lecteurs et de nouveaux marchés. En pénétrant dans cette saga, vous vous familiariserez avec les règles tacites de parution et la hiérarchie entre les auteurs. « Chez Dupuis, il y a trois types de bandes dessinées publiées dans Spirou. Celles qui ne quitteront jamais le journal – la majorité -, celles qui sont publiées en album broché et celles qui ont droit à une reliure cartonnée », écrivent-ils. Il faut savoir attendre son heure pour exister professionnellement. Ou encore cette anecdote savoureuse quand Peyo « annonce aux Dupuis que la société Kellogg’s désire glisser dans ses boîtes de cornflakes des figurines Schtroumpf » et que l’éditeur de Spirou n’y voit aucune objection et s’en désintéresse, n’ayant pas perçu les possibilités commerciales infinies du merchandising.
La fortune du dessinateur était faite, aggravant aussi par là même, ses problèmes de santé. Dupuis a été de toutes les batailles éditoriales, il fut le premier à s’intéresser à la bande dessinée de poche en publiant Bonjour Snoopy en 1965 (avant que Schulz ne fasse la une de Time Magazine) ou à lancer, dès 1988, la collection « Air Libre », annonçant l’ère du roman dessiné, avec le splendide « Voyage en Italie » de Cosey. Sans aucun doute, tous ces personnages de fiction sont nos héros pour la vie !
La fabrique de héros – 100 ans d’édition chez Dupuis – José-Louis Bocquet et Serge Honorez
La fabrique de héros - 100 ans d'édition chez Dupuis
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