Les Kurdes sont revenus sous les feux de l’actualité à la suite de l’attentat de la rue d’Enghien. Mais la question kurde existe depuis bien longtemps et ne trouve pas encore de solution. Une guerre sans fin qui déstabilise le nord du Moyen-Orient. Tigrane Yegavian a répondu aux questions de la revue Conflits. Propos recueillis par Louis-Marie de Badts.
Tigrane Yegavian est chercheur au CF2R (Centre Français de Recherche sur le Renseignement).
Conflits. À la sortie de la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres reconnaissait aux Kurdes le droit de se constituer en nation indépendante. La période entre-deux-guerres fut baignée de sang. C’est de là que part tout le problème kurde, mais qu’en est-il aujourd’hui, après près d’un siècle de conflits et de tension ?
Tigrane Yégavian. Il faut bien comprendre que les Kurdes forment la plus grande nation sans État au monde. Ils seraient aujourd’hui entre 30 et 40 millions répartis entre la Turquie (20 millions de Kurdes), l’Iran, l’Irak et la Syrie (respectivement 12, 8,5 et 3,6 millions). Ces quatre pays entretiennent des relations orageuses, mais s’accordent néanmoins sur la nécessité d’empêcher l’émergence d’un État kurde indépendant.
Depuis août 1920, les Kurdes entretiennent un profond sentiment d’injustice. Les Occidentaux leur avaient promis à cette période qu’ils auraient un État, sur un territoire qui aujourd’hui se trouve au sud-est de l’actuelle Turquie et empiète au nord de l’Irak.
Les Kurdes n’ont pas vraiment leur place en Turquie et ne s’y assimilent pas. Aux yeux d’Ankara, la question kurde est un problème de sécurité nationale, car dans le cas où les Kurdes obtiendraient leur autonomie, le processus d’indépendance serait irrémédiablement enclenché. La Turquie devrait craindre son propre démembrement pour éviter un nouveau « traité de Sèvres » (1920) qui avait scellé la disparition de l’Empire ottoman et fracturé la Turquie anatolienne. Il est cependant intéressant de noter que depuis 2012, les Kurdes possèdent une certaine autonomie en Syrie, mais Damas n’a pas l’intention de la rendre durable.
De son côté la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) est engagée dans l’action armée depuis 1984, avec au départ un programme visant à l’indépendance du Kurdistan et l’instauration d’un régime marxiste-léniniste, d’inspiration stalinienne. L’organisation a fait sa mue après l’arrestation de son leader Abdullah Ocalan en 1999. Elle défend à présent un système d’autonomie inspirée de la théorie du penseur marxiste libertaire américain Murray Bookchin, décédé en 2006. Depuis, le PKK s’est donné comme objectif de fonder la première société qui établirait un confédéralisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire, en encourageant une forme de féminisme, inédite au Moyen-Orient. C’est notamment le cas dans le nord-est de la Syrie. Mais derrière son discours démocratique, le PKK (et sa franchise syrienne du PYD) mène un maillage des territoires qu’il contrôle et ne tolère que les forces politiques qui lui sont soumises.
Il faut vraiment comprendre qu’il existe de vraies divisions au sein du peuple kurde. Il ne faut pas les confondre entre eux : religion, politique, ethnies. Et ces divisions ne font que s’accentuer avec le temps.
La diaspora kurde fait aujourd’hui beaucoup parler d’elle, mais dans quelle mesure croit-elle encore à son projet d’indépendance ? N’est-il pas devenu utopique ?
Le problème actuel kurde c’est qu’il n’y a pas de leadership trans-national. Abdullah Öcalan, fondateur et chef du parti des travailleurs du Kurdistan, est en prison en Turquie. Son œuvre est limitée parce qu’il ne peut pas fédérer tous les Kurdes, car un clivage existe entre islamistes et nationalistes, mais il n’est malheureusement pas suffisamment étudié. Par exemple, certains Kurdes sont membres de Daech tandis que d’autres dont on ne parle pas assez, soutiennent Erdogan, en Turquie et même en Allemagne. Il est aussi important de savoir que le chef des services secrets turcs est d’origine kurde, Hakan Fidan, un proche d’Erdogan. Fidan est un Kurde originaire de Van qui parle cette langue lorsqu’il négociait avec des cadres du PKK. Il est essentiel de comprendre que l’on a affaire à une nébuleuse politique. Les Kurdes n’ont pas vraiment de …
>> Lire la fin de l’article sur le site de Conflits <<
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !