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Etats-Unis: la guerre des Juifs

Sur les campus américains, des juifs «antisionistes» s’allient aux ennemis d’Israël


Etats-Unis: la guerre des Juifs
Manifestation du mouvement "Free Palestine" devant la Maison Blanche, le 11 mai 2021 © Allison Bailey/Shutterstock/SIPA

La guerre que les Palestiniens mènent contre Israël a lieu aussi sur les campus américains. Curieusement, les juifs antisionistes sont à la pointe de ce combat contre Israël.


L’antisémitisme est devenu un problème récurrent sur les campus américains. Et il va croissant. Le dernier rapport de l’Anti Defamation League, l’une des plus grosses associations antiracistes américaines, a dénombré pour l’année universitaire 2021-2022, un total de 359 incidents anti-israéliens à travers les collèges et campus aux États-Unis. Ces incidents qui vont de l’agression physique au vandalisme en passant par le harcèlement verbal ou écrit, les chahuts et boycotts ont atteint le nombre de 244 pendant l’année scolaire 2020-2021 et 181 pendant l’année scolaire 2019-2020.  Ce climat d’intimidation permanente, de dénigrement, d’ostracisme à l’égard de tout ce qui se donne pour juif ou israélien est fomenté par des étudiants d’extrême gauche et par des étudiants « arabes et musulmans qui fomentent activement la haine d’Israël comme une expression de leur « identité [1] »

Une intense propagande anti-Israël et une redéfinition de l’identité juive

Ces étudiants sont regroupés en associations très actives comme Students for Justice in Palestine, une association propalestinienne qui dispose de 206 sections locales réparties sur l’ensemble du territoire scolaire américain, ou comme Jewish Voice for Peace, une association d’étudiants juifs qui développe sa propagande antisioniste sur un grand nombre de collèges et campus.

Mais en sus de ce climat de violence, la détestation d’Israël et l’intimidation des étudiants juifs a pris une tournure nouvelle. Une étude publiée en novembre 2022, par AMCHA, une association fondée en 2012 par deux professeurs de l’Université de Californie, Tammi Rossman-Benjamin et Leila Beckwith, montre que cette violence n’est pas seulement dirigée contre toute manifestation du sionisme, elle s’en prend également au judaïsme. Intitulée « L’antisémitisme sur les campus et l’assaut contre l’identité juive [2] », l’étude AMCHA, menée dans toutes les règles de l’art sociologique sur près de 100 collèges et universités, montre que les mêmes associations (Students for justice in Palestine, Jewish Voice for Peace…) mènent une guérilla de tous les instants pour une redéfinition de l’identité juive. 

Qu’ils soient enseignants, étudiants, juifs ou non juifs, les BDS (Boycott Desinvestissement Sanction, du nom de cette association palestinienne qui a entrepris d’isoler Israël au plan mondial), ont entrepris de creuser un fossé entre judaïsme et sionisme. « Lorsque le corps enseignant et les départements académiques affirment (…) que le sionisme n’est pas une partie authentique du judaïsme ; que l’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme ; ou que les sionistes abusent de la religion pour justifier les crimes d’Israël – ils colorent ces propositions d’une légitimité académique et font des étudiants juifs une cible » affirme l’étude.

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En séparant judaïsme et sionisme ou en proclamant que le sionisme est illégitime par rapport au judaïsme ou qu’il est une forme de « pollution » par rapport à ce même judaïsme, les BDS attentent sciemment à la relation affective qui lie 80% des juifs américains à Israël. 8 Américains juifs sur dix pensent que soutenir Israël est une composante essentielle de leur identité juive. Ce qui n’a rien de surprenant : le sentiment d’appartenance des juifs au peuple juif et l’appartenance du peuple juif à la Terre d’Israël sont au fondement de l’identité juive, et ce depuis des temps immémoriaux. 

Un retournement habile et pervers

Comme le fait remarquer Caroline Glick, chroniqueuse et journaliste israélienne, « si le sionisme pollue le judaïsme, rien n’empêche alors de le présenter comme une forme d’antisémitisme ». Par ce formidable retournement, les antisémites de BDS affirment aujourd’hui à tous les étudiants juifs, sur des dizaines de campus, que ce n’est pas l’antisionisme qui menace les juifs, mais le sionisme. Ce ne sont pas les antisionistes qui haïssent les juifs mais les sionistes qui font du mal aux juifs. L’antisionisme – ce discours politique qui juge convenable de détruire Israël – ne peut même plus être considéré comme une forme d’antisémitisme, puisqu’il est présenté comme un projet de libération des citoyens juifs américains. 

En même temps qu’ils vident le judaïsme de toute référence à Jérusalem, à Israël et au sionisme, les BDS juifs et non juifs se démènent pour boycotter les professeurs juifs qui soutiennent Israël, pour chahuter les conférenciers qui manifestent de la sympathie pour Israël, pour convaincre les doyens d’université d’interdire les voyages Birthright de découverte d’Israël et intimider au quotidien les associations d’étudiants juifs. Il ne suffit pas de promouvoir un faux judaïsme et une fausse vie juive, il faut aussi éradiquer le modèle traditionnel.

L’étude AMCHA met l’accent sur le rôle joué par les juifs antisionistes dans cette comédie. Certes, ils servent de paravent – « Regardez, même des juifs sont avec nous ! » – à l’antisémitisme de BDS. Mais surtout, ils démultiplient l’impact de BDS. « JVP (Une Voix Juive pour la Palestine) agit comme un multiplicateur de force et amplifie l’impact de groupes comme SJP (Students for Justice in Palestine) » affirme l’étude AMCHA. La même étude prouve, chiffres à l’appui, que sur les campus ou les associations juives antisionistes sont absentes, le taux d’attaques contre le judaïsme chute drastiquement. En revanche, « les collèges et universités dotés d’associations juives antisionistes, sont beaucoup plus susceptibles de voir surgir des menaces contre l’identité juive que les écoles où seule, l’association Students for Justice in Palestine est présente [3]  ». Les juifs BDS ont une fonction centrale dans les actions de redéfinition du judaïsme.

Un projet qui n’est pas si stupide qu’il en a l’air

A ce stade de l’analyse, la question qui surgit est la suivante : pourquoi les BDS juifs et non juifs se fatiguent-ils à inventer un antisionisme « libérateur » du judaïsme ? Pourquoi ces efforts « conceptuels »… alors qu’il serait tellement plus simple de harceler les étudiants juifs et de les forcer à vivre terrés sur les campus ? La seule réponse possible est qu’à travers le judaïsme, c’est le peuple juif qui est mis en accusation. Le sionisme étant l’expression politique du peuple juif, la délégitimation du sionisme vise à délégitimer le projet sioniste, à savoir le retour du peuple juif sur sa terre d’origine. Tout le projet des juifs BDS de Jewish Voice for Palestine est donc de convaincre les juifs américains qu’ils deviendront d’autant plus juifs qu’ils rejetteront tout lien avec Israël.

Un projet qui n’est pas si stupide qu’il en a l’air.

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Les Juifs américains appartiennent en grande majorité au camp progressiste et observent sans comprendre le tournant nationaliste-sioniste pris par Israël. Les juifs américains s’inquiètent depuis longtemps de la « colonisation » et des dommages que cette « colonisation » causerait aux « valeurs » juives. Il n’est donc pas exclu que l’antisionisme de BDS fasse écho à leur inquiétude. Iront-ils jusqu’à penser comme BDS le souhaite que les juifs qui vivent en Israël, à Tel Aviv ou Haïfa, sont des imposteurs et des colonisateurs déguisés en juifs ? Qui sait ?

Si l’idée se répandait partout sur le territoire américain que les seuls vrais juifs sont les juifs antisionistes, alors l’une des plus grandes mystifications politique de l’histoire de l’humanité trouverait son aboutissement. Le « peuple palestinien », ce peuple sans profondeur historique, tout droit sorti des éprouvettes du KGB (les services soviétiques) à la fin des années soixante, s’imposerait aux yeux de la terre entière et à ceux des juifs de la diaspora pour commencer, comme le seul peuple légitime destiné à occuper, non pas la seule Judée Samarie (Cisjordanie) mais toute la terre d’Israël.


[1] « Israel on Campus », Ruth R. Wisse, Wall Street Journal, Dec. 13, 2002

[2] « Campus Antisemitism and the Assault on Jewish Identity », https://amchainitiative.org/wp-content/uploads/2022/11/Assault-on-Jewish-Identity-Report.pdf

[3] « Campus Antisemitism and the Assault on Jewish Identity », https://amchainitiative.org/wp-content/uploads/2022/11/Assault-on-Jewish-Identity-Report.pdf




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