Alain Paucard est un Parigot vrai de vrai, une tête de veau pur jus. Il connait Paris comme sa poche et le cinéma – américain comme un frenchie – sur le bout des doigts. Ce titi gouailleur se raconte dans une autobiographie délectable dans laquelle il se plait à distribuer claques et lauriers.
« Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » Alain Paucard pourrait reprendre à son compte, et avec l’accent, la réplique d’Arletty car, vrai de vrai, c’est un Parigot. Autant dire un rescapé d’une espèce en voie de disparition, dans cette capitale du brassage inclusif et bigarré qu’est devenue Paris. À 75 ans, l’écrivain prolifique (plus de 40 bouquins au compteur !) se retourne sur ses mille vies, bien en selle pour tenir les rênes de ces Mémoires au galop – sous-titre donné à un volume de plus de 300 pages : J’aurais dû rester chanteur de rock n’roll.
Est-ce bien certain ?
Un titi comme on en croise peu
« Mon père et Audiard sont tous deux du XIVe, nés en 1920 ; mon père au 76, rue Pernety, et non dans une maternité, comme ma mère. L’immeuble est un taudis », raconte le mémorialiste. Ses souvenirs sont si précis, fourmillants et détaillés qu’on se demande par quelle capacité phénoménale l’homme égrène autant de noms, de faits, de dates, à tant d’années de distance. C’est peut-être là le plus stupéfiant : Paucard nous restitue le temps passé comme un présent intact, vivace, immédiat.
« La différence essentielle entre les parents et les grands-parents est que les premiers élèvent et les seconds éduquent. » De fait, le garçon est bien davantage formé, instruit, voire aimé par Marie-Jeanne, sa grand-mère, que par sa propre mère. Désuète, l’expression « homme du peuple » s’applique parfaitement à lui : du peuple, il en est issu. Témoin cette notation : « Tous ces gens-là, avec leur inculture, en possédaient pourtant une : l’appartenance à un même peuple, frondeur, gaulois, aimant rire d’un rien, connaissant le prix des paroles données. »
Figure sanctifiée au panthéon de sa jeunesse, Marie-Jeanne est vendeuse de souvenirs au pied du pilier ouest de la tour Eiffel. Une vocation tribale, en quelque sorte : sa fille Mme Paucard, la génitrice mal-aimée d’Alain, officie elle-même au pilier sud. Site stratégique entre tous : les tournages de films s’y succèdent. Le père, lui, est policier. Parolier de chansonnettes à ses heures, l’obéissant condé sous l’occupation se métamorphose en FFI tardif, résistant même, en août 1944, quand ordre lui est donné de procéder à l’arrestation de Sacha Guitry, son idole… Dépressif, franc-maçon d’opportunité, il est ensuite préposé, un temps, à la chasse aux « pédés » qui se paluchent dans les « tasses » du Champ-de-Mars. Un vrai destin…
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De sa propre génération, celle « des enfants des BOF, les “beurre-œufs-fromage”, élevée dans le traumatisme de juin 1940 et l’éloge de la débrouillardise par le marché noir », Paucard écrit qu’elle « s’empara de la mentalité du “tout tout de suite” et surtout du “moi d’abord”. » Dans les pages émouvantes qui viennent clore le chapitre intitulé « Marie-Jeanne, une vie française », l’auteur confesse les tourments de sa vingtaine, entre les feux croisés des événements de Mai 68, des déchirements du clan familial, et de la conscience de classe très aiguë où s’origine son ambition d’artiste.
Goguenard et cultivé
Sauvé par le 7e art ? « Le cinoche m’a aidé à survivre », reconnaît-il avant de nous entraîner dans une cavalcade cinéphile nourrie de films en nombre incalculable dont il égrène chaque titre, sur fond d’érudition encyclopédique. De fait, le cinéma a été sa grande passion. Non sans parti-pris : idolâtre d’un Howard Hawks ou d’un John Ford, il poursuit Marguerite Duras de sa vindicte avec une constance fanatique. Une prostituée singulièrement cultivée l’emmène voir La Nuit (Antonioni) : « Je me fais sauvagement tartir [sic] ». Godard, la Nouvelle Vague ? Épouvantable ! Paucard a ses têtes de Turc : « Claude Brasseur me fit l’effet d’un porc. » Pas moins. San Antonio ? « Un sous-Céline fabriqué et ennuyeux. »
D’aucuns pourraient s’agacer de telles exécutions capitales. Mais ce qui rend la prose d’Alain Paucard irrésistible, c’est précisément ce mélange de prosaïsme, de gouaille, de provocations, ces jugements à l’emporte-pièce adossés à une culture hors norme. Ce mélange de trivialité, de poncifs et de fines intuitions lui permet de passer naturellement d’une remarquable analyse du personnage de Zorro à une évocation de Sacha Guitry. Paucard a tout vu, tout lu, tout connu ! Ainsi son propos passe-t-il allègrement de Guy Debord à Jean-Jacques Annaud. Ce féru de littérature a été, dans ses jeunes années, soldeur de livres bien avant d’oser se lancer lui-même dans la carrière, quitte à publier sous quantité de pseudos (Arne Grinberg, Jean Dron, Matt Sloane, L.K. Von Himeloff, Jones Ulm, Humphrey Paucard, Mohamed d’Ali…). Il a eu la bonne fortune de rencontres cardinales : Jean Dutourd (1920-2011) et Pierre Gripari (1925-1990) sont ses mentors sous la bannière des belles-lettres, entre idylles et démêlés avec ses éditeurs (Julliard, Fallois, Balland, Belfond, Pauvert, le Dilettante, l’Âge d’homme…).
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Franchement désinvolte
« Nous balançons entre la débauche et la sainteté, non pas entre le vice et la vertu », note ce moraliste épris de tolérance. Homme à femmes épicurien que le féminisme puritain du temps hérisse à bon droit, Paucard n’ignore rien du tragique de l’existence : en 1984, sa femme Catherine meurt scalpée par son pare-brise. Candide immodeste, il s’avoue quelque part « quelqu’un qui doit se punir d’être né ». Est-ce pour cela que l’ancien chanteur de rock n’roll, qui a vite quitté le marxisme pour la rive droite, préside aux destinées de son Club des ronchons – « interdit aux femmes, aux enfants et aux animaux – et aux plantes vertes ») ? Il officie sur le tard à Radio Courtoisie, goûte la compagnie de Serbes infréquentables (Milosevic, Karadzic), s’affirme « réactionnaire » et, comme tel, guerroie contre l’architecture contemporaine (Les Criminels du béton, 1991) avec la foi inébranlable du croisé.
« Je crois à la rotondité de la terre mais je la regrette. Si la terre était plate les trois vaisseaux de Christophe Colomb seraient tombés dans le vide et on n’aurait jamais entendu parler des États-Unis. » Qui dira que Paucard n’est pas un patriote ?
J’aurais dû rester chanteur de rock n’roll : mémoires au galop, d’Alain Paucard, éd. Via Romana, 334 p., 2022, 24€.
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