Avec Célidan disparu (Mercure de France), Denis Podalydès livre un autoportrait sensible.
L’une pleure…
Dois-je l’avouer ? Je n’avais pas le souvenir d’un film avec Denis Podalydès avant Tromperie, d’Arnaud Desplechin (2021), d’après le roman éponyme de Philip Roth. Podalydès interprète le grand romancier américain qui n’aura jamais eu le prix Nobel de littérature. Comme quoi ce prix n’a rien à voir avec la qualité d’écriture.
Podalydès s’est glissé dans la peau de Roth ; il est cynique, égotiste, brillant, jamais émouvant. Face à lui, Léa Seydoux, l’amante anglaise, sensuelle, piégée, torturée, fière et sans cesse au bord du précipice de ses sentiments, en déséquilibre sur la crête du flot lacrymal indompté.
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… l’autre pas.
Sa frimousse à la Shirley MacLaine, filmée par Vincente Minnelli dans Comme un torrent, est irrésistible. Podalydès dit : « Tu étais un tiroir formidable. » Aucun pathos, tranchant, sec, vrai. Dans son livre de souvenirs, Célidan disparu, l’acteur, metteur en scène, scénariste et écrivain, né le 22 avril 1963, sociétaire de la Comédie-Française depuis 2000, avoue qu’il ne peut donner aucune émotion devant la caméra. « Ça m’ennuie, écrit-il, de me farcir de psychologie, jouer le sentiment de la jalousie, faire affleurer une émotion qui ne viendra pas, ne vient jamais, c’est mon défaut, mon défaut de cœur, ma sécheresse de toujours. »
Sur le tournage de La Grande Magie, de Noémy Lvovsky, dont la sortie est prévue en 2023, l’acteur se souvient d’un réalisateur en colère contre lui parce qu’il ne donnait rien, aucune émotion. Il tente de « faire dégorger quelques gouttes du sentiment sincère » exigé par le réalisateur. C’est alors qu’il tente de se servir du suicide de son frère Eric (indépassable méthode Stanislavski). « L’écœurement me prit, révèle Podalydès, de vendre ainsi mes larmes qui se refusaient à ce marchandage. » On l’aura compris, son livre est sans complaisance envers lui-même. La vérité est au rendez-vous de cette confession littéraire de très haute tenue. Au théâtre, comme au cinéma, c’est la même vérité qu’on cherche, lui révèle un jour Jacques Lassalle, son maître, devant un contradicteur nommé Maurice Pialat. Il en est de même en littérature.
En bonne compagnie
Le réalisme à la Balzac est une supercherie puisque l’objet est, avant tout, une sensation. L’essentiel, c’est la vérité. On entre ici sur le terrain d’Alain Robbe-Grillet dont Podalydès brosse un élégant portrait, comme il brosse celui d’un autre écrivain de qualité, Michel Leiris. L’un des livres de chevet de l’acteur n’est autre que L’Âge d’homme, précédé du texte De la littérature considérée comme une tauromachie. Je le précise puisque Podalydès est un défenseur de la tauromachie ainsi que de la littérature à l’estomac. Les deux semblent aller de pair.
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Portraits également de Jean Marais, Jacques Lassalle, Maurice Pialat, dont il dit que ses colères homériques lui étaient dictées par sa frustration de ne pas être reconnu comme un immense acteur. À propos de Police, en particulier de la scène finale quasi métaphysique avec un Depardieu dévasté, il avoue : « Je tourne autour d’une montagne, depuis ce regard-caméra […]. Mais Depardieu, c’est autre chose, j’en parlerai un jour, j’espère. » Ils en sont tous là, les acteurs français, à être écrasés par l’ogre Gégé.
Denis Podalydès évoque également son enfance, ses parents (son père, d’origine grecque, est né en Algérie), ses frères, la Bretagne, les vacances à Oléron, les études de philo, son service militaire avorté… Il revient sur le mal dont il souffre, la dépression, livrant abruptement une clé de sa personnalité. Il écrit : « Chaque fois que me prennent de profondes angoisses, de ces angoisses intolérables que rien ne peut apaiser, mon premier réflexe est de me réfugier dans une librairie. »
Un portrait sensible.
Célidan disparu, de Denis Podalydès, Mercure de France, 336 p., 2022, 21€.