Ce mercredi, revoir le film de Pierre Tchernia sorti en février 1974 et repenser ainsi notre politique du logement à Paris.
Quand j’étais enfant, durant les fêtes de Noël, Garcimore sortait de sa manche des lapins ou des foulards colorés à la télévision sous les rires en cascade de Denise Fabre. Aujourd’hui à Paris, contrairement à la chanson de Francis Lemarque, quand un amour fleurit, ce sont les souris qui dansent sur le pavé en effrayant les usagers serrés comme des sardines du métropolitain. L’animalisation de la société est en marche. Blotti dans la manche d’une dame, ce soir-là, un surmulot en bamboche a eu des envies de liberté, d’air pur, de Champs-Elysées, de Lido et de journal télé. Il profitait de son quart d’heure de célébrité avant de dîner au bœuf sur le toit.
Paris est une fête pour les « Gaspards » qui se lèvent tard et sortent en bandes organisées. Ils remontent à la surface, la nuit venue, tandis que nous autres humains, nous nous terrons. Et finalement, si nous permutions ? Il est temps d’échanger nos places. A eux, les boulevards éclairés ; à nous les champignonnières et autres crayères. Notre sous-sol nous appartient ! Inversons les flux migratoires, aux « Gaspards » la rue ouverte aux pistes cyclables larges comme des autoroutes, aux Parisiens fatigués de vivre dans des logements trop exigus, les caves somptuaires de la capitale. L’espace du futur sera dans nos galeries ou ne sera pas.
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Pierre Tchernia et René Goscinny avaient tout prévu, tout anticipé, il y a presque cinquante ans, l’asphyxie citadine, la bétonnisation galopante, la muséification outrancière, la folie immobilière, les guerres de voisinage dans un film mi-poétique, mi-prophétique. Quand l’atmosphère devient irrespirable, la faute à trop de trafic, à trop de laideurs architecturales, à trop d’insécurité, à trop de foule sentimentale, les Parisiens creusent comme les Shadocks jadis pompaient. En 1974, il s’agissait déjà de « décongestionner Paris » et de creuser sous terre pour espérer découvrir un petit coin de « ciel bleu ». L’excavation générale avait commencé, les Halles avaient migré en banlieue, les grands travaux scellèrent bientôt les carrières politiques.
Humour cartoonesque
Sous le nom de « Gaspards », une société secrète, en sécession, s’organisait sous la férule d’un Philippe Noiret épiscopale, merveilleux gentilhomme des cavernes. Ces hommes de l’ombre qui avaient fui la frénésie marchande et l’obscénité moderne aspiraient à une vie plus simple, à un habitat plus respectueux, alors parfois, ils enlevaient des touristes pour effectuer de menus travaux de force. Chez Goscinny et Tchernia, le gag est animé par un humour cartoonesque, on pédale pour avoir de l’électricité au son de l’accordéon, on soutire les légumes dans les jardins paroissiaux au risque de faire peur aux bonnes sœurs, on prélève quelques tableaux au Louvre pour agrémenter son intérieur rupestre, on vide les meilleures bouteilles d’un caviste mystifié (Jean Carmet), on s’autorise même à « kidnapper » un chanteur d’opéra-opérette (Roger Carel) le temps d’un concert privé. Donnez-moi l’adresse ! Pour que j’y emménage tout de suite.
Du cinéma populaire, fantasque et tendre
Cette comédie loufoque à tendance écolo-anarchiste était-elle prémonitoire ? Car, en 2023, au-dessus, rien ne va plus. La circulation n’a pas diminué, les arbres continuent d’être abattus, les loyers sont astronomiques et les constructions ignobles pullulent à chaque carrefour. Au lieu d’élever des immeubles, ne devrions-nous pas aménager ce territoire inconnu qui repose sous nos pieds ? L’Homme de demain ne regardera pas en haut, vers les satellites, mais bien vers le bas, en direction des catacombes, au royaume des rats et des morts. Au-delà de la parabole philosophique de ce conte filmé qui peut aussi bien s’analyser comme une ode libertarienne à la désertion ou à un retour à une nature irénique, c’est surtout un plaisir enfantin qui nous saisit dès les premières images. Du cinéma populaire, fantasque et tendre, où les méchants sont tellement bêtes qu’ils nous rassurent et où les bons sentiments n’amènent pas une leçon de morale.
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Les « Gaspards » sont le refuge idéal pour ceux qui veulent fuir les vœux de la nouvelle année, les galettes au prix du lingot d’or, la réforme des retraites et la disparition du timbre rouge. Avez-vous vu Gérard Depardieu en facteur, Michel Serrault en libraire-historien, Chantal Goya en bicyclette, Michel Galabru en commissaire dépassé, Charles Denner en ministre possédé des Travaux Publics, Anny Cordy en sit-in dans une Renault 12 orange, Daniel Ivernel en clochard mélomane ou encore l’inoubliable Prudence Harrington en lady des profondeurs ?
Les Gaspards en replay sur CANAL+
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