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Victor Young Perez, un détournement de boxeur


Victor Young Perez, un détournement de boxeur

victor young perez

Tunis 1911, Auschwitz, 1945. Deux dates, deux lieux qui résument le destin de Victor Young Perez, le plus jeune champion du monde poids mouche de l’histoire de la boxe, encore aujourd’hui.

Il existe très peu d’écrits sur Young. Le livre « référence » est celui d’André Nahum, mon père (sur Wikipedia, à la rubrique Young Perez, on dénombre 106 notes, dont 97 sur le livre d’André Nahum). André Nahum, ancien médecin à Sarcelles, était hanté depuis l’enfance par le champion oublié. Il s’est battu pour sa mémoire et a passé vingt ans de sa vie à faire des recherches dans la presse sportive, auprès de ses vieux patients, de Margaux et Benjamin Perez, la sœur et le frère, etc. En un mot, il a élevé ses enfants avec la figure de Young comme s’il faisait partie de la famille.

Young Perez, c’est l’histoire d’un gosse de la Hara, pauvre ghetto juif de Tunis. Belle gueule, farceur, bagarreur, un peu voyou, écolier buissonnier de l’Alliance israélite, Victor a une passion, la boxe. À cette époque, le noble art fait rêver la rue comme le foot aujourd’hui. Victor et sa bande de copains parviennent à intégrer une salle d’entraînement grâce à la générosité d’un mécène de la communauté. Très vite, il est repéré comme le plus prometteur. Petit, léger, souple il est d’une rapidité époustouflante et son jeu de jambes devient vite unique.

Il remporte le titre mondial contre Franckie Genaro à Paris en 1931, à 20 ans. 5 petites minutes d’un combat victorieux le propulsent vers la gloire.

Young, soudain riche et célèbre, croule sous les invitations dans le beau monde. La star du moment, c’est lui. Ces années 30 sont folles de jazz, de boites de nuit, de jolies filles, de jolis garçons et de boxe. Pas un jour sans combat. Le tout-Paris des Arts et des lettres remplit les salles de boxe. On y croise Cocteau, qui soutient le grand Al Brown, ou Joséphine Baker, pour ne citer qu’eux. Dans cette ambiance vertigineuse, le jeune juif tunisien rencontre une starlette débutante, de deux ans son aînée, l’adorable Mireille Balin. Ils deviennent amants. On les voit partout ensemble.Young la couvre de cadeaux somptueux. Il gâte pareillement ses parents et son entourage. Il n’oublie pas d’où il vient. Il ne refuse rien à personne. Un cœur gros comme ça. L’argent doit profiter à ceux qui en ont besoin et même si certains exagèrent, il s’en fiche. Mireille tire profit des projecteurs sur Young, elle se montre, fait sa pub, dirait-on maintenant. Elle est élégante, éduquée, et sophistiquée. Tout la sépare de son amoureux : le milieu social, la culture, la religion. L’époque n’est pas à la mixité. Elle se lasse, s’éloigne de Young peu à peu, tourne et monte à son tour vers les sommets. Il en souffre atrocement, la poursuit, prend du poids, se laisse aller, et perd son titre mondial.

Les fidèles copains l’entourent, mais beaucoup sont rentrés chez eux, dont le grand frère, Benjamin, boxeur lui aussi qui choisit la raison et s’en va ouvrir un commerce à Tunis. L’époque s’est durcie. L’heure est à la haine des Juifs. Young devrait rentrer à Tunis, mais il n’écoute personne. Il croit que rien ne peut lui arriver, à lui, le champion du monde. Il va se refaire et conquérir à nouveau sa belle Mireille, il en est sûr. Inconscient ou naïf, il acceptera un combat à Berlin en 1938. Il y vit l’horreur de l’humiliation et de la peur.

De son coté, Mireille , après une passion torride avec Tino Rossi est à présent  au bras d’un bel officier allemand. Elle paiera cher cet amour, sera arrêtée et violée à la fin de la guerre. Young Perez est arrêté en septembre 1943. Embarqué à Drancy, puis déporté à Auschwitz et assassiné. Que s’est-il passé ? Qui l’a dénoncé ? Des témoins ont émi des hypothèses. On ne saura jamais.

Comment M. Ouaniche a-t-il rendu ce matériau extraordinaire dans son film ? On ne retrouve rien. Le film tient tout entier dans le dernier combat de Young contre un allemand à Auschwitz. Une séquence très longue, où le boxeur Brahim Asloum donne le meilleur de lui-même. Asloum fait le boulot comme personne, il boxe. Le choix de faire jouer Young Perez par Brahim Asloum, champion du monde comme lui est la grande trouvaille du réalisateur.

Sinon ?

Quoi de la Hara de Tunis dans les années 20 ? De l’ambiance décrite pourtant dans tellement d’ouvrages (très bizarre, l’accent parisien des copains de Young dans les ruelles du ghetto! L’accent tune, c’est quand même typique). Quoi du Paris des années 30 que Young va découvrir dans sa nouvelle vie de champion ? (quelle lourdeur,  cette scène sensée nous montrer ses conquêtes, où l’on voit Young dans le tourniquet d’un palace au bras d’ une nouvelle femme à chaque sortie du tourniquet!)

Quoi de son retour triomphal à Tunis, en héros, retour pourtant historique ? De l’accueil national ? De la fierté de la Hara ? De la générosité légendaire de Young  pour son ghetto? Rien. Pourquoi le choix de cette actrice qui joue Mireille avec un fort accent italien ? Pourquoi son frère Benjamin à Auschwitz alors que dans la réalité, il était à Tunis et n’a jamais été déporté ? (cette invention donne lieu à des scènes de mélo fraternel digne d’un soap opera!) Parce que c’est de la fiction ? Et que la fiction a tous les droits ? C’est vrai.

Mais notre droit est d’écrire que le Young  du film n’a pas grand-chose à voir avec le vrai Young Perez. La production n’avait pas les droits du livre d’André Nahum (il les a vendus à un autre producteur). Or comment écrire l’histoire de Young en ignorant le seul récit existant, de crainte d’être accusé de plagiat ? Pas d’autre choix que de suivre la trame de ce  récit[1. Quatre boules de cuir, d’André Nahum est réédité sous le titre : Young Perez Champion, de Tunis à Auschwitz, éditions Télémaque. En librairie le 25 novembre.] mais en le vidant de sa substance, en inventant des anecdotes, en changeant même l’histoire de Benjamin, mais aussi en transformant l’Histoire.

Le résumé annonce le récit de « la jeunesse insouciante (de Young) à Tunis avec Rachid, Maxo et Benjamin ». Or, comme dans toutes les bandes du ghetto, au côté de Young, les gosses étaient juifs. À cette époque, il y avait peu d’interférences entre les communautés en dehors des relations professionnelles. Chacune vivait cloisonnée.

Que dire aussi de cette assemblée d’hommes en seroual et chéchias, manifestement tous musulmans, acclamant Young au début du film ? Pourquoi donner une image aussi simple d’une société bien plus complexe, à l’ombre du drapeau français ?

C’est vrai, c’est une fiction. L’artiste a tous les droits, jusqu’au détournement de boxeur. Mais cette vision  liftée du passé ne fera pas avancer la paix. Elle fausse le jeu, entre Juifs et Arabes liés par une Histoire plus que complexe.

 

 



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Maya Nahum est auteur.

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