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En Chine, l’ordre passe avant la liberté

Par ses abus, le secrétaire général a fait naître le chaos au lieu de préserver l’harmonie


En Chine, l’ordre passe avant la liberté
Manifestation contre la politique zéro Covid à pékin, 27 novembre 2022. / ©Stringer/TASS/Sipa USA

Pour les pragmatiques Chinois, le pluralisme n’est pas un préalable à toute chose. L’ordre, si. Le devoir du gouvernement est de l’assurer. Xi Jinping a violé ce contrat et a suscité la colère populaire par l’inhumanité des confinements à répétition. Ni lui, ni le PCC n’oublieront ceux qui ont osé les défier.


Événement rarissime, les Chinois sont descendus dans la rue pour manifester leur colère. Immense courage des manifestants qui savent risquer le bannissement social, l’arrestation et une lourde peine d’emprisonnement. Depuis plusieurs semaines, l’exaspération montait en Chine face aux excès de la politique zéro Covid. De premiers signes de rébellion avaient été constatés, dont le plus spectaculaire, le mois dernier, dans l’usine Foxconn de Zhengzhou où des dizaines de milliers d’ouvriers avaient forcé les barrages pour échapper au confinement et rentrer chez eux à pied.

Les manifestants de la semaine dernière sont allés plus loin dans la provocation. Ils tenaient à bout de bras des feuilles blanches pour dénoncer la censure et l’absence de liberté d’expression. Des slogans anti-Xi Jinping et des appels à la liberté ont également été prononcés, qui ont fait le tour de la toile mondiale.

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Frisson immédiat parmi les commentateurs : assistons-nous au début d’un printemps chinois ? Les Chinois se révolteraient-ils enfin contre le tout-puissant Parti communiste chinois (PCC) ? S’il est toujours possible de rêver à un grand soir contre-révolutionnaire en Chine, il est utile d’essayer d’analyser la situation avec une grille de pensée asiatique. Contre qui, contre quoi, manifestait-on ? Contre les excès de la politique du gouvernement ou contre le régime lui-même ? Ce qui est très différent, même si l’un peut à terme basculer dans l’autre.

Le chaos est l’ennemi

Les Chinois redoutent en permanence le retour du chaos, à l’origine de tant de souffrances au cours de 2 500 ans d’histoire de la Chine. La mission première du gouvernement est d’assurer l’ordre et l’harmonie dans la société, qui permettront le développement de la communauté et l’enrichissement de ses membres. Depuis l’écrasement du soulèvement de Tiananmen de 1989 et durant un quart de siècle, le PCC a assuré un ordre social acceptable par le plus grand nombre, permis une relative liberté individuelle – pour peu qu’on ne touchât pas au rôle dirigeant du parti – et réuni les conditions d’un développement économique spectaculaire qui a profité à tous. Sa légitimité s’en est trouvée confortée.

Dans un tel contexte, la liberté d’expression et le pluralisme politique sont demeurés une revendication de franges intellectuelles minoritaires. Non pas que la masse de la population soit opposée au multipartisme ou ne serait pas heureuse d’avoir le choix entre plusieurs bulletins de vote. Cependant, tant que les dirigeants exercent correctement leur devoir, laissent un espace de respiration suffisant et permettent l’enrichissement des familles, on s’accommode du système en place. Les Chinois sont de grands pragmatiques.

En cela, la société chinoise diffère profondément de la nôtre. Le pluralisme n’est pas un préalable à toute chose en Chine. L’ordre, si. Chez nous, c’est l’inverse.

Une tentative de remettre en cause le pluralisme politique mettrait toute la France dans la rue. L’apprenti dictateur n’aurait pas assez de temps pour faire ses valises et s’enfuir. En revanche, nous nous accommodons relativement bien du désordre. Les égorgements de professeurs ou de curés, la violence qui accompagne chaque manifestation, les 4 000 points de deal et autres zones de non-droit dans tout le pays ne nous empêchent pas de faire nos courses de Noël. Bien sûr, nous n’aimons pas ce désordre et le faisons savoir. Mais nous avons appris à vivre avec. De même, les Chinois ont appris à vivre avec le PCC au pouvoir et font avec.

En revanche, les choses changent si le régime sombre dans la tyrannie ou laisse le chaos s’installer. Alors, le peuple a le droit légitime de demander des comptes, de se révolter. C’est ce qu’il a commencé à faire début décembre. La critique d’une politique peut alors se transformer en critique du régime et le pluralisme apparaître comme une alternative à une dynastie qui aurait perdu le mandat céleste.

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En sommes-nous déjà là ? C’est peu probable. La remise en cause du parti et de son secrétaire général demeure minoritaire, même si la population, au fond de son cœur, n’a que peu d’empathie pour un leader qui lui fait vivre un enfer depuis un an et qui, ces dix dernières années, n’a cessé de réduire les libertés individuelles. Les manifestants chinois n’ont pas manifesté en priorité contre la captation du pouvoir par le PCC, mais contre le caractère insupportable et l’inhumanité de la politique zéro Covid de Xi Jinping.

De trop nombreux événements ont soulevé le cœur des Chinois ces derniers mois : l’envoi en quarantaine manu militari de centaines de milliers de personnes, Covid-positives ou non ; les confinements à répétition, dans 42 villes du pays depuis le début de l’année 2022 ; l’enfermement de centaines de milliers d’ouvriers dans leur usine, sans ravitaillement décent ; cette femme enceinte à qui on a refusé la sortie de son immeuble pour aller accoucher à l’hôpital et qui perd son bébé ; les issues de secours verrouillées dans les immeubles d’habitation ; et la mort par le feu de dix personnes prises au piège d’un immeuble en flammes à Urumqi.

Xi Jinping a abusé du pouvoir accordé à l’empereur. Il a introduit le désordre dans la société, entravé le bon fonctionnement de l’économie, provoqué l’appauvrissement et la souffrance de beaucoup de gens. Bref, par ses abus, le secrétaire général a fait naître le chaos au lieu de préserver l’harmonie. Faute grave, ligne rouge.

La levée précipitée des restrictions, des mesures de cantonnement, la disparition des tentes de test obligatoire, montrent – fait rarissime – que le régime a intériorisé qu’il était allé trop loin, qu’il avait pris le risque d’une rupture dans la société et que les manifestants avaient de bonnes raisons de sortir dans la rue.

Mais Xi Jinping n’est pas homme à se laisser dominer par une foule en colère. Cet épisode n’est pas terminé. L’épidémie circule désormais rapidement dans le pays. Le taux de mortalité va augmenter dans les prochaines semaines. Nous verrons alors si les médias officiels, voire une partie de la population chinoise, ne se retourneront pas contre les manifestants qui auront contraint le gouvernement à baisser la garde. En Chine, la lutte continue.

Janvier 2023 – Causeur #108

Article extrait du Magazine Causeur




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Jean-Noël Poirier fut ambassadeur de France au Vietnam de 2012 à 2016. Il vit à Hanoï et travaille en Asie du Sud-Est où il a déjà vécu quatorze ans. Il traite pour Causeur de l'actualité vue de sa fenêtre en Asie.

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