Benoît XVI est décédé le 31 décembre. Il avait 95 ans. Retour sur un pontificat et une carrière ecclésiastique marqués par des crises, des polémiques et certains moments de grandeur dont l’histoire ne manquera pas finalement de le créditer.
Il a d’abord été le cardinal Joseph Ratzinger. Un austère théologien allemand, expert concile de Vatican II devenu en même temps que préfet pour la congrégation de la doctrine de la foi une sorte de croquemitaine moitié Père Joseph, moitié Belphégor. Les plus progressistes en faisaient l’âme damnée de Jean-Paul II. Il l’aurait manipulé en occupant son trône tandis que le titulaire officiel de la tiare déclinait. Puis, il est devenu, par son élection de 2005, Benoît XVI. L’accueil poli de son arrivée par les catholiques de France dissimulait mal une certaine déception. Jean-Paul II avait été le pape de l’espérance ; celui qui lança un puissant « n’ayez pas peur » au bloc de l’Est au moment de son élection, inaugurant l’entrée de l’Église militante dans le troisième millénaire. Benoît XVI serait le pape de la foi, de la réaffirmation d’une doctrine claire et solide. On passait de la star mondiale polonaise à l’intellectuel allemand – réputé pour son influence, son austérité et son conservatisme.
Un Pape qui avait du mal à se faire comprendre
Les premières années, son pontificat sera celui des polémiques et des incompréhensions. En 2006, le discours de Ratisbonne est reçu comme une insulte aux musulmans après qu’une phrase – en réalité, une citation – sur la violence islamique en fut extraite. 2009 est l’annus horibilis de son pontificat. Il persiste d’abord dans son souhait de béatifier Pie XII, sur lequel pesait le soupçon de silence devant les crimes nazis. Puis, il lève l’excommunication de quatre évêques lefebvristes (la dissidence intégriste de l’Église) et on découvre que l’un d’eux, Richard Williamson, a tenu des déclarations négationnistes. On connaissait déjà ses sympathies traditionalistes : il avait par un motu proprio Summorum Pontificum facilité la célébration des sacrements selon le missel latin de Saint Pie V. Enfin, il réaffirme aussi son opposition au port du préservatif dans un voyage en Afrique alors qu’était évoqué le problème du SIDA. Sa manière d’exalter les usages, la liturgie, les interdits et même les habits ecclésiastiques du XIXe le plaçait sans doute en décalage complet avec le XXIe dont il n’arrivait pas à se faire comprendre.
Plus rarement, le public a aussi perçu quelques échos de son intelligence spirituelle. L’incontestable réussite de son voyage en France de 2008 – qui avait mobilisé plusieurs dizaines de milliers de fidèles – devait beaucoup à son discours des Bernardins devant le monde de la culture. Il y assignait à la culture et aux arts de l’Occident – dont la France est mère – une place spéciale dans la révélation chrétienne : « la lecture de la parole est un acte corporel (…) Elle désigne une activité qui comme le chant et l’écriture, occupe tout le corps et tout l’esprit. » « La grande musique » occidentale est révélation de Dieu comme le sont les miracles et les écritures. Pour Benoît, l’épée des prophètes reste le verbe ; le verbe chanté, lu, écrit, parlé. La région chrétienne est de paroles, elle est aussi de pierre. Elle est spiritualité, croyance ; elle est aussi art, pensée, geste et histoire. Ce faisant, le catholicisme, et ce que nous en révélait le Saint Père, valait bien mieux que sa caricature : celle d’une vague spiritualité ou quête de sens dont parlent les post-modernes qui le rapprochent du développement personnel ou celle du dogmatisme obtus et obsessionnel des puritains et des intégristes…
Sa renonciation, marquante, un fait inédit depuis le Moyen Âge
Sa discrétion et son humilité entraient en écho avec la compréhension savante qu’il proposait du catholicisme. Benoit XVI a ainsi inspiré un grand respect avec la surprise de sa renonciation au pontificat. Le contraste avec l’acharnement de Jean-Paul II que le monde avait tant admiré, la volonté de fer que cet homme avait eu à donner jusqu’au dernier souffle un sens à sa vie, donnait au geste de Benoit un caractère de nouveauté et d’innovation qui semblait contraire à ce qu’il avait toujours prêché. Le dépouillement de tous ses insignes de pouvoir, l’annonce de l’évènement en latin à une curie peuplée d’intrigants sans doute incapables de comprendre le message et la surprise de tous ses détracteurs convaincus que leur adversaire partageait leur vice et aimait le pouvoir, alors qu’il accomplissait juste son devoir. Dans la discrétion d’une retraite méditative et pieuse, il continua comme pape émérite à construire une esthétique bien à lui.
Que retiendra-t-on de Benoit XVI ? Il a commis des erreurs précisément parce que contrairement à la caricature que l’on a faite de lui, ce n’était ni un ambitieux ni un politique. Nous savons qu’il échoua à réformer ou même manœuvrer la curie. On lui reproche aussi des scandales étouffés. Mais, pour le monde et pour une génération de catholiques, le pontificat de Benoît XVI, ce fut aussi autre chose : la beauté de la liturgie, l’herméneutique de la continuité, un sens profond de l’Europe, beaucoup de bonté et d’érudition. Ce pape fut un grand mystère : longtemps caricaturé et honni, il a aussi inspiré le respect et la tendresse. Et les hommages qui saluent sa mémoire sont presque unanimes.
Parmi les plus grands théologiens du XXe siècle, son collègue, Karl Rahner, avait proposé la thèse du chrétien anonyme. Pour la résumer : quiconque mène une vie droite et saine sera sauvé, qu’il appartienne ou non à l’Église. De nombreux chrétiens s’ignorent. Le « oui » le plus profond que l’homme pose en réponse à la proposition chrétienne est le plus souvent silencieux et inconscient. Le « oui » de Benoit XVI à l’Évangile, au Christ, à Dieu, à la culture, à la musique, à la pensée de l’Occident ainsi qu’à toutes les âmes du monde, fut de bout en bout discret et incompris. C’est une tendresse anonyme qui peine à se dire mais offrira pour l’histoire un authentique témoignage de sincérité. Meilleur communicant, son successeur se fait admirer du monde en affichant depuis le début de son pontificat de bonnes intentions avec la main sur le cœur. À chaque époque ses modèles.