Comme disait l’autre, c’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’on doit fermer sa gueule… C’est à voir… En tout cas, c’est ce qu’on n’aura pas vu et pas entendu après la catastrophe aérienne d’hier. Depuis sa disparition des écrans, le vol Rio-Paris monopolise nos écrans.
Personne ne niera que cette abominable tragédie en soit une. Ni même que ce soit une information capitale. Alors, on en parle et, depuis 24 heures, on ne parle même que de cela. Le seul problème, c’est qu’à l’heure où ces lignes sont écrites, on ne sait pour ainsi dire rien. Donc on en parle. Où plutôt, on meuble, pour occuper l’antenne de la radio ou de la chaîne d’info en continu. Je ne sais rien, mais je dirai tout.
Depuis hier midi, l’aéroport Charles-de-Gaulle est devenu l’endroit où il faut être quand on est un journaliste chaud sur l’info. Et faire chauffer du rien, c’est raide. Alors on scrute le néant, on sonde l’affliction des « gens ». Ceux qui ont vraiment perdu quelqu’un dans l’Airbus sinistré ont hélas autre chose à faire que de répondre à l’envoyé spécial de RTL ou France Info. Alors on met en route le grand huit de l’angoisse du voyageur lambda, la peur de ceux qui montent dans un avion pour Sao Paulo. Lequel doit passer juste au-dessus de la zone ou l’AF 447 a disparu. Puis une jeune fille qui descend d’un Pékin-Paris et fond en larmes en apprenant de la bouche d’un touriste américain qu’elle ne connaît pas « l’horrible nouvelle ». Le journaliste – mais peut-être faut-il dire « le grand reporter » – nous décrit ensuite par le menu l’ambiance « étrange » qui règne à Roissy. Etonnant, non, vu le nombre de caméras, de nagras et de crétins avides de témoignages anxieux ?
En studio, ça ne vaut pas plus cher. L’essentiel, sur ce drame dont on n’a ni le son, ni l’image, c’est de montrer sa douleur de journaliste compassionnel. À l’instar de cette présentatrice de LCI qui, à 8 heures pile, se souvient soudain qu’il ne faut pas servir aux clients le sourire formaté standard au moment de dire bonjour, et affaisse brutalement, face caméra, la commissure des lèvres pour prendre un air de circonstance.
Après l’émotion, place à l’information. Ou à ce qui en tiendra lieu. En l’occurrence, de la bribe de néant, sur laquelle on brode et rebrode. Promis, vous saurez tout sur le Rien. Sur les caméras à infrarouge de l’armée de l’air brésilienne, sur la mise en place de cellules d’aide psychologique « destinées à accompagner les familles », sur l’hébergement de ces mêmes familles dans des chambres réquisitionnées dans tous les hôtels de la zone de Roissy et Air France « qui prendra tous les frais à sa charge ». Sur la minute de silence ce soir à Geoffroy Guichard, avant le match amical France-Nigéria et les vingt-deux joueurs « qui porteront tous un brassard noir ». On ne nous dit pas si l’arbitre en portera un lui aussi. Mais on l’apprendra sans doute dans un autre flash d’info.
Et puis il y a aussi les déclarations de Nicolas Sarkozy, d’Hervé Morin, de toute une flopée de ministre plus ou moins concernés mais également consternés. I-Télé a même réussi à obtenir sur la question une interview exclusive de Barack Obama. On sent qu’ils meurent d’envie de crier au scoop mais qu’ils se retiennent très fort. La décence, sans doute.
Sinon, les vraies questions ? Là, curieusement on n’y répond pas, d’ailleurs on les pose pas non plus. On n’osera pas penser qu’une fille qui fait une crise d’hystérie en direct live, c’est plus porteur qu’une analyse un peu technique du drame…
En temps ordinaire, on s’énerve parce que les médias devraient avoir des choses passionnantes à nous dire, et qu’ils ne nous disent pas grand-chose. Alors, quand ils doivent tenir l’antenne H 24 et qu’ils n’ont vraiment rien à dire, là, c’est la catastrophe.
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