Tout enfant en bas âge peut passer par une étape de questionnement où il interroge son corps et son sexe. Sauf dans un pourcentage infime de cas, il ne s’agit ni d’un phénomène durable, ni d’une forme de pathologie, ni d’un vrai désir de changer de genre. A l’interrogation de l’enfant, les parents, l’école et la société doivent répondre en posant des limites – des limites dont l’enfant a besoin. Entretien sur le transgenrisme avec Anne Schaub, psychothérapeute et auteur d’Un cri secret d’enfant (2017).
Aude Mirkovic. Voici un petit garçon convaincu d’être une fille, une fille certaine d’être un garçon : est-ce qu’il y a là quelque chose de l’ordre de la pathologie, quelque chose à guérir ?
Anne Schaub. Le propre de l’enfant est d’être en pleine croissance et donc de s’inscrire dans des étapes de développement. Toute croissance implique le mouvement et, d’étape en étape, des petites et grandes transformations – physiques et psychologiques – auront lieu. Surtout autour de la période de l’adolescence. Peut-on alors immédiatement parler de pathologie identitaire dans la petite enfance ? Sauf rare exception, bien sûr que non, car il peut s’agir d’une étape de questionnement. Au cœur de sa croissance, l’enfant va également tester les limites – les limites de ce qu’il peut et ne peut pas faire mais également de ce qu’il peut et ne peut pas être. La petite fille peut imaginer être une fée ou une princesse mais bien vite, elle saura qu’elle ne peut l’être « en vrai ». L’enfant qui désire et dit être de l’autre sexe est à écouter, certes, mais notre rôle en tant qu’adulte est de poser la limite : tu es fille et tu grandiras fille pour plus tard devenir une femme, tu es garçon et tu grandiras garçon pour devenir un homme. Il s’agit d’écouter et d’accompagner avec sérieux ces enfants exprimant un tel mal-être, sans pour autant cristalliser ni « pathologiser » la situation. Les questions suivantes à se poser : pourquoi veulent-ils être un/e autre ? Pourquoi ne parviennent-ils pas à « habiter » mentalement la réalité de leur corps tel qu’il est biologiquement sexué ? Ces questions nécessitent de faire une anamnèse de leur histoire de vie pour mieux comprendre d’où cela peut provenir.
La démarche médicale a toute sa place aussi. Le rôle du médecin est d’exclure une pathologie organique, hormonale, car les hormones peuvent ne pas résister à la volonté. Nous abordons ici les pistes psychologiques et encore, sans prétendre faire le tour du sujet.
De jeunes enfants voire même des adolescents témoignent qu’ils se souviennent ne pas avoir supporté leur corps, déjà vers 3-4 ans. L’enfant, en pleine construction, fantasme alors le fait de devenir l’autre sexe, à partir d’un mal-être parfois profond ; il s’imagine être un ou une autre dans une croyance qu’ainsi il ne ressentira plus le trouble. Sachant que dans la première enfance l’enfant édifie en lui la notion de la limite, essentielle dans la structuration de sa personne, c’est une catastrophe si les adultes arrêtent là la réflexion et vont dans son sens pour chercher à le « satisfaire ». Au contraire, à partir du positionnement clair des adultes qui l’entourent, l’enfant se verra confronté à la réalité du « non, je ne peux ni faire, ni être tout ».
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Le rôle des parents est premier pour fixer cette limite. La limite ne vient pas de la seule parole des adultes mais aussi de la nature elle-même sur laquelle s’appuyer. Faut-il aujourd’hui le rappeler : c’est un fait – et non une attribution comme l’est le prénom – et, sauf exception de bi-sexualité, nous naissons garçon ou bien nous naissons fille. Notre identité biologique est clairement établie par analyse dans le génome humain. Dès la conception, notre ADN féminin ou masculin est définitivement inscrit en chacun de nous et, quand bien même les aspects corporels extérieurs peuvent être changés, rien ni personne ne peut changer la réalité chromosomique déterminant le sexe de quelqu’un. Si la parole et le positionnement des parents sont hésitants quant à la suite à donner à l’affirmation de l’enfant d’être de l’autre sexe, il glisse dans une perte de repères, s’enlise dans sa propre confusion et son doute augmente. C’est pourquoi, tout en écoutant l’enfant, il est utile que le/s parent/s garde/nt les idées claires, sans céder à la direction d’une transformation avec l’idée préconçue que leur enfant est transgenre.
Si, pour un enfant très jeune, cela peut paraître normal de le voir chercher la limite, y a-t-il un âge à partir duquel cela deviendrait problématique de s’identifier au sexe opposé ?
Il est possible que cela soit un passage ponctuel, même à l’adolescence qui est souvent une période de réveil de souffrances, de tous ordres, non-résolues dans l’enfance. Elles peuvent pour certains se manifester et « parler » par le biais de l’identification à l’autre sexe. Et c’est à suivre, à traiter, non pas d’emblée comme une pathologie en soi je le répète, mais comme un appel à résoudre des souffrances plus profondes. Si cette étape perdure, cela est probablement révélateur d’un malaise plus conséquent. Il peut s’agir d’un mal-être qui ne touche pas immédiatement à l’identité sexuelle mais qui renvoie au « qui suis-je? » dans son sens plus large de l’expression, à une problématique de place dans la famille, à des conflits intra-familiaux. Là encore, le rôle tuteur des adultes est fondamental pour prendre de front ce mal-être chez l’enfant. Bien-entendu, si la souffrance identitaire sexuelle apparaît au cœur d’un état d’anorexie, de boulimie, de psychose, d’autisme ou de toute autre pathologie psychiatrique, c’est autre chose, et il est indispensable d’en tenir compte dans le traitement. La problématique transgenre est alors à considérer comme une fragilité identitaire conjointe à, ou favorisée par, la pathologie psychiatrique déjà reconnue comme telle. Je terminerai en notant aussi les graves problématiques d’abus sexuels subis dans l’enfance et qui peuvent mener un enfant ou un jeune à vouloir être de l’autre sexe. C’est alors le traitement de l’abus ou du viol qu’il s’agit de prendre en charge, et non le fait d’abonder dans le sens d’un changement de sexe qui jamais ne résoudra l’origine de la problématique.
On observe une augmentation exponentielle du nombre d’enfants dits transgenres. Comment expliquer cela ? Étions-nous tous refoulés avant ?
Non, mais il existait de réels et solides repères anthropologiques dans l’inconscient individuel et collectif de la société. Ce qui n’excluait pas pour autant dans le passé des exceptions marginalisées, c’est-à-dire de vraies situations de transgenres. De nos jours, nous marchons comme sur un « matelas d’eau » sur le plan des valeurs et des paradigmes humains : tout peut bouger d’un point de vue moral, anthropologique et d’un point de vue dit scientifique. Les lignes, même les plus évidentes – comme celle d’être une fille ou un garçon – bougent, en fonction de ce que chacun croit, veut, ressent. Ce qui a basculé, c’est le socle qui nous rattache au réel et qui pourtant offre une solidité, une assise, un plancher de sécurité à notre humanité. Si nous ne pouvons plus nous fier au réel biologique du corps, nous sombrons dans une grande insécurité, une folie mentale. Je ne suis pas seule à penser que le grand drame de notre époque c’est la déconnection d’avec le réel, et la déconnection de l’esprit et du corps, qui créent une fracture, une séparation avec les lois du vivant qui pourtant nous « ordonnent ». C’est-à-dire qui met de l’ordre dans nos pensées, dans notre corps, dans notre esprit, dans notre cœur. Et dans la vie en général. Nous sommes arrivés à des distorsions morales qui nous coupent du simple bon sens et peuvent mener à tout permettre, à tout envisager même hors du réel sans que la société ne s’en émeuve.
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Ensuite, de nombreuses raisons, parfois imbriquées les unes dans les autres, pourraient expliquer ce phénomène exponentiel :
- il y a Internet et ses puissants réseaux d’influence qui agissent sur le cerveau et le psychisme des jeunes, au départ à partir de minorités et de mouvements lobbyistes.
- il y a l’influence des perturbateurs endocriniens à certaines phases de développement du foetus (stress et pollutions de tous ordres).
- il y a aussi le rôle primordial de l’éducation. Le doute s’est infiltré dans l’éducation soit au niveau des parents soit au niveau des écoles lorsqu’ils donnent une crédibilité exacerbée à ce que dit l’enfant au sujet de son sexe. L’enfant, plutôt que de se voir confronté à l’altérité – à l’autre, aux ainés, plus matures, qui ont un ancrage relié au réel – va recevoir, en miroir de sa propre confusion et son doute, celui de ses parents ou de ses éducateurs. Il y a un travail d’éducation et de soutien à réaliser auprès des parents car s’ils laissent trop de crédibilité à ce que dit l’enfant, ils vont eux-mêmes être convaincus qu’il est transgenre. Le problème majeur est qu’il n’est plus permis aujourd’hui de mettre en doute la direction que l’enfant ou le jeune souhaite prendre, sous peine d’être coupable de discrimination et accusé (condamné ?) comme transphobe. Il y a là un retournement de génération, avec l’ascendance de l’enfant sur le monde de l’adulte.
- il y a finalement l’emballement du monde médical. Y aurait-il une sorte d’excitation à jouer à l’apprentis sorcier en lançant de telles expériences de transformation de sexe sur l’humain, en jouant avec des traitements hormonaux pourtant bien lourds de conséquences et ce, dès le plus jeune âge ? Les enjeux financiers sont par ailleurs énormes et sont une manne importante pour les hôpitaux. Beaucoup de médecins voire même des psychologues ou psychiatres – le film Petite fille de Sébastien Lifshitz (2020) en témoigne ! – ne s’intéressent pas à l’épaisseur de l’histoire de l’enfant dès sa conception ni à la teneur du lien avec son/ses parents et, sans creuser, engagent l’enfant à quitter ce sexe qui, selon lui, doit changer. La nécessité d’explorer l’histoire de l’enfant soulève la question des mémoires précoces. Qu’est-ce qui fait qu’il se sente dans le mauvais corps ? Nous sommes bien souvent dans une problématique plus globale de fragilité voir de sensation de perte d’identité de fond et donc bien plus large que celle de l’identité sexuelle. Que s’est-il passé durant la grossesse ? Quelles étaient les pensées voire les obsessions de la mère (ou du père) sur le sexe désiré, ou non, de l’enfant attendu ? Comment s’est passé la naissance ? L’enfant est-il resté auprès de sa mère ou a-t-il subi des séparations très précoces ? Pour certains, le vécu de souffrance va s’exprimer par des troubles du sommeil, de l’alimentation, de l’attachement, par des phobies scolaires… Pour d’autres, cela va passer par des troubles de l’identité sexuelle. « Je ne sais pas qui je suis et je le ressens fort, je le manifeste à travers mon identité sexuelle ». Il y a également le cas où un bébé est mort avant et que rien n’a été dit à l’enfant venu ensuite, ni même si c’était une fille ou un garçon. Cette charge de la mort inscrite dans la mémoire précoce me paraît essentielle à interroger et à traiter. De ces situations de souffrances de l’aube de la vie des tous petits enfants, seul un infime pourcentage trouverait au final la réponse au mal-être de fond par la prise d’hormones et de tous les autres traitements de transformations de sexe.
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Alors étions-nous tous des refoulés ? Non. Peut-être étions-nous simplement dans le consentement naturel d’être soumis à la nature objective, biologique de notre sexe ? Et donc mieux unifiés dans les différentes dimensions de notre être. Aujourd’hui sont remises en question les bases de notre humanité sexuée avec l’idée d’une fausse et illusoire libération de l’humain face à sa nature première présentée comme une sorte de mythe esclavagiste et imposé par la culture, par des codes sociaux obsolètes et rétrogrades dont il s’agirait de se défaire. Mais, entrer en mésalliance avec le réel du corps donné, c’est risquer de rompre très subtilement mais de façon exponentielle avec la quiétude d’esprit en ce qui concerne notre authentique réalité identitaire et sexuelle, au risque d’être toute sa vie hanté, poursuivi par un mal-être de fond. « Existe-t-il une frontière par-delà̀ laquelle nos rêves et pensées se font folie, menace ? » (Sarah Kane). Car rien ni personne ne pourra jamais changer notre ADN féminin ou masculin.
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