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Brésil : Lula gouvernera un champ de ruines

Empêcher la réélection de Bolsonaro a un prix.


Brésil : Lula gouvernera un champ de ruines
Lula, condamné pour corruption et blanchiment d'argent, sera intronisé le 1er janvier 2023. www.fotoarena.com.br/Sipa USA/SIPA SIPAUSA30334725_000008

La défaite de Bolsonaro aux élections présidentielles a été reçue avec soulagement dans les grandes capitales occidentales. L’on y a célébré le « retour de la démocratie », feignant d’ignorer qu’il n’y a plus de démocratie au Brésil.


Pour faire sortir Bolsonaro, la démocratie brésilienne a été dynamitée, les institutions dévitalisées et l’Etat de droit liquidé. Fallait-il payer ce prix pour empêcher la réélection de Bolsonaro ?

Le chemin de Lula a été ouvert au bulldozer

Lula n’aurait jamais dû participer aux élections de cette année, car il aurait dû être en prison ! En 2018, il a été condamné à douze ans pour corruption et blanchiment d’argent. Les images de son incarcération ont fait le tour du monde et marquent la mémoire de tous les Brésiliens. Puis soudain, durant la pandémie, la Cour Suprême annule l’intégralité de la procédure et dédit tous les tribunaux qui ont déclaré Lula coupable (première instance, deuxième instance et cassation). Elle ne le déclare pas innocent, elle annule le procès en soi pour vice de forme. Cerise sur le gâteau : les crimes qui lui sont reprochés sont prescrits, Lula peut donc revenir dans le jeu, l’esprit tranquille.

En parallèle, la Cour Suprême se pique de poursuivre tous ceux qui la critiquent au motif de la lutte contre les fake news. En 2019, elle lance une méga-enquête sur les « actes antidémocratiques » et qui n’est rien d’autre qu’une chasse aux sorcières visant les adversaires de Lula. On incarcère des députés en plein exercice au mépris du principe d’immunité parlementaire, on emprisonne des blogueurs et on oblige d’autres à s’exiler aux Etats-Unis, on démonétise les canaux Youtube de droite, on perquisitionne au petit jour les domiciles de plusieurs patrons d’entreprise proches de Bolsonaro après avoir intercepté illégalement leurs échanges sur WhatsApp. Détail important : aucun texte légal n’autorise ces persécutions, la Constitution et le code pénal garantissant la liberté d’expression. Et pour aggraver le caractère illicite de la procédure, les avocats des prévenus n’ont pas accès au dossier ! Tout cela passe inaperçu durant la pandémie, le peuple étant sidéré par la peur du virus et les médias étant occupés à fustiger Bolsonaro et son opposition au masque et au confinement.

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Le coup d’état a été plus que parfait : aucune balle n’a été tirée, personne n’a rien vu.

Le covid ayant reflué, la dernière phase du projet « come back » de Lula se met en place. On est au début de l’année 2022 et la Cour Suprême émet plusieurs fatwas déclarant absolument inviolables les urnes électroniques qui seront utilisées lors du scrutin présidentiel du mois d’octobre. Mieux encore, elle interdit à quiconque de les auditer, à commencer par les candidats ou les autorités publiques compétentes. La presse aux ordres relaie bien entendu le message et taxe tous les sceptiques de complotistes et de négationnistes. Quand Bolsonaro exhibe un rapport émis par les instances qui gèrent les élections au Brésil et qui atteste d’un « hacking » avéré en 2018, les journalistes font l’autruche.

La suite des événements se résume à l’accélération des mesures vexatoires et clairement illégales inaugurées en 2019. La campagne se passe dans un climat surréaliste où il est interdit, sous peine d’amende, de rappeler aux électeurs les antécédents judiciaires de Lula. Les juges vont jusqu’à retirer des ondes une campagne appelant à la vaccination contre la polio au motif qu’elle pourrait créer de la sympathie pour le Ministre de la Santé, allié de Bolsonaro.

Le 30 octobre dernier, Lula a fini par gagner les élections avec 50,90 % des suffrages.  C’est peu au regard des coups de pouce qu’il a reçus.

Qui a le pouvoir ?

Autant de « miracles » ne peuvent être le seul fait de Lula ou de quelques juges de la Cour Suprême. Il est strictement impensable que des hommes désarmés et désargentés puissent suspendre l’Etat de droit et balayer du revers de la main trente ans de démocratie. Qui a manigancé la sortie de Lula de prison ? Qui a convaincu le Congrès de se soumettre aux diktats des juges qui empiétaient clairement sur ses attributions ? 

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L’idéologie ne suffit pas à expliquer l’alignement incroyable des volontés pour aplanir les obstacles devant le candidat de gauche. Qui est derrière tout cela ? Impossible de répondre, la presse donnant au public quelques figures à détester qui n’ont aucune espèce d’empire sur les volontés dans ce pays : pas de fortune, pas d’armes, pas de popularité. Il s’agit notamment des juges Alexandre de Moraes et Gilmar Mendes, membres de la Cour Suprême.

Lula fait comme si

Lula sera investi le 1er janvier prochain. Il fait comme si tout allait au mieux dans le meilleur des mondes. Il annonce ses ministres et esquisse ses grandes politiques, comme si le président de la République avait encore le pouvoir au Brésil.

A-t-il des garanties que les juges vont renoncer à leur coup d’Etat, par sympathie politique à son égard ou sur ordre des véritables maîtres du pays ?

Il est permis de le croire, voire de l’espérer car Lula, au moins, dispose d’une certaine légitimité populaire, pas les juges.

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De toute façon, un précédent a été établi et trop de lignes rouges ont été franchies. Le pire dans tout ça est qu’une grande partie de la jeunesse est d’accord. Elle a tellement peur de Bolsonaro, elle craint tellement les fake news qu’elle est prête à s’enchaîner volontairement. Elle incarne la servitude volontaire, assumée et criée sur tous les toits.

Quant aux intellectuels brésiliens, ils sont comme leurs confrères français : ils font carrière quitte à manger dans la main du Diable.  Ils avalisent la transformation du pays en une république bananière où les lois ne veulent rien dire. Ils cautionnent, sans s’en rendre compte forcément, la mue de l’Etat brésilien en un Etat criminel dirigé par un criminel condamné à de la prison ferme, un narco-Etat où un trafiquant de drogue a plus de chance d’avoir droit à un procès juste qu’un journaliste de droite.

Une chose est sûre cependant : le Brésil aime les surprises. Il n’est pas exclu qu’un coup de théâtre se produise dans les prochaines semaines, avant ou après l’investiture de Lula.



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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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