Confronté à la réduction budgétaire, le musée du Louvre recourt de plus en plus au mécénat privé. Ce dernier se partage entre le mécénat des entreprises et celui des particuliers. De grandes compagnies du Cac 40, comme Axa par exemple, participent à la restauration d’œuvres prestigieuses. Pour elles, les avantages sont multiples et représentent un tremplin marketing majeur. Non seulement, « sponsoriser » une restauration les rend plus visibles mais elles leur confèrent aussi une certaine popularité auprès du grand public, attaché à la sauvegarde du patrimoine culturel. Cela permet en outre d’offrir quelques avantages aux salariés du musée lors des visites. Le Cercle Louvre Entreprises met donc ses mécènes à l’honneur.
Même si les possibilités de ce financement semblent illimitées, elles ne peuvent fonctionner seules. Un partenariat intelligent entre la part du public, celle des particuliers et celle des entreprises apparaît indispensable. En ce moment, Le Louvre axe sa communication sur la restauration de La Victoire de Samothrace. Estimé à 3 millions d’euros, le chantier sera majoritairement pris en charge par de grandes compagnies internationales. Cependant, le musée a aussi fait appel aux dons individuels. La somme récoltée s’élève déjà à 500 000 euros sur le million nécessaire. L’engouement des donateurs repose sur un attachement profond à la sauvegarde d’un patrimoine commun, sur le sentiment de faire une bonne action, même avec une participation minime, et enfin sur le prestige de l’œuvre.
Cependant, ces dernières années la part croissante du mécénat privé dans les musées illustre l’appauvrissement global de l’Etat. Celui-ci n’a en effet plus les moyens de financer les multiples restaurations ou projets d’acquisitions. Ce mécénat pose la question des musées régionaux de moindre envergure dont la visibilité n’est pas aussi attractive pour susciter l’intérêt des entreprises. On peut légitimement se demander si des œuvres plus confidentielles bénéficieront de cet apport financier. Pour preuve, le Musée des Beaux-Arts de Valence qui conserve une collection importante d’œuvres de Corot et d’Hubert Robert, dont une centaine de dessins, ne bénéficie pas de la même exposition médiatique. Ainsi, la récente souscription pour l’achat d’une nouvelle toile d’Hubert Robert, Embarcadère méditerranéen, ne rencontre pas le même succès. Comme les moyens de la Ville ne suffisent plus, on recourt systématiquement à la loi sur le mécénat, au risque de favoriser les « têtes d’affiches » qui attirent davantage de donateurs grâce à leur notoriété.
Le Louvre compte à présent dans ses collections Les trois grâces de Cranach grâce au public séduit par une œuvre à l’aura international. Pour ce faire, on ne cesse de souligner que ce type de dons offre des avantages fiscaux. Dès lors, le mécénat privé, s’il devient indispensable, risque de rendre les musées publics trop dépendants. Plus largement, on risque à terme la privatisation d’une partie du patrimoine faute d’argent. À présent, les musées doivent peu à peu adopter une gestion sur le modèle des entreprises. Le directeur de musée devient un manager. En cela, la succursale du « Louvre » à Abou Dhabi relevait moins de l’impératif culturel que de l’impératif économique. Cette opération aura rapporté la bagatelle de 700 millions d’euros aux musées de Paris.
Au-delà du débat « public-privé », le patrimoine ne doit pas être l’otage de considérations financières. Si les entreprises mettent en avant la notion « d’entreprises éthiques », leur part croissante tend à transformer la culture en un bien de consommation. Les musées ne sont pas des parcs d’attractions. Si c’était le cas, on risquerait de voir des situations comme celles des propriétaires du château de Vaux-le-Vicomte qui organisent réceptions et mariages pour des magnats étrangers. Ils vendent un cadre et aménagent le château au gré des exigences du client. À quand les réceptions au Louvre pour une poignée de privilégiés ? Cela nous pend peut-être au nez.
*Photo : JAUBERT/SIPA.00574400_000059.
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