De l’atmosphère terrorisante et atrophiante dans laquelle nous baignons, Georges Bensoussan est le témoin capital et son ouvrage, Un exil français, publié en 2021 par L’Artilleur, un document majeur que tout historien de la France des années 2000 devra étudier et méditer.
Causeur. Comment a débuté votre collaboration avec Damien Serieyx ?
Georges Bensoussan. Je me suis tourné vers lui en janvier 2021 après le refus des éditions Stock qui, fin 2018, m’avaient commandé un livre sur « mon affaire », ce procès de délit d’opinion monté de toutes pièces par les islamistes du CCIF et une partie du gauchisme militant. Mais à l’été 2020, le directeur de Stock refuse le manuscrit. Il faut savoir pourquoi, afin de comprendre l’importance d’une maison comme L’Artilleur. Le patron de Stock m’a expliqué qu’après avoir réuni son « état-major » (dont les avocats de la maison), « on » avait conclu que ce livre susciterait des plaintes et qu’il fallait s’attendre à des procès onéreux… Il a ajouté que j’impliquais « trop de gens et trop d’institutions ». Lesquels ? À l’exception de la direction du Mémorial de la Shoah, il est resté discret. Plus tard, j’ai compris qu’il s’agissait des milieux auxquels il était lié personnellement.
Me voici donc sans éditeur. C’est alors que je transmets le manuscrit à Damien Serieyx qui m’informe trois jours plus tard qu’il est preneur. Il ne semble pas effrayé par certaines analyses qui mettent en cause nombre d’institutionnels, y compris dans la communauté juive, disons plutôt ici dans la communauté israélite au sens ancien, le plus bourgeois et notabilisé du terme. Je savais que l’un après l’autre, les éditeurs classiques refuseraient ce livre jugé iconoclaste. Le mérite de Damien Serieyx est là tout entier.
Quel éditeur est-il ?
C’est un homme discret et réservé, tout simplement modeste. N’allez pas lui dire qu’il fait un travail remarquable en donnant une voix à ceux que le « bureau politique » entend réduire au silence. Il n’en tire pas gloire. Il se voit comme un combattant. Ce qu’il est. À parcourir son catalogue, on en est d’ailleurs rapidement convaincu.
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Vous qui avez publié chez de grands éditeurs (Fayard, Albin Michel…), avez-vous constaté une différence de traitement dans la diffusion et l’accueil médiatique d’Un exil français?
La différence est considérable. Damien Serieyx travaille presque seul. Quand son équipe est au complet, disons qu’ils doivent être trois dans un petit appartement d’un quartier tranquille de Paris. Rien à voir avec les grandes maisons d’édition. Il y a au moins deux différences. Pour nombre de journalistes, rendre compte des ouvrages de l’Artilleur, c’est prendre des risques. L’éditeur est pestiféré et ses auteurs pas loin de ressusciter l’Enfer de la Bibliothèque nationale dans un registre différent. On peut se demander d’ailleurs combien d’ouvrages publiés par Serieyx ont fait l’objet ces dernières années d’une recension dans Le Monde, Libération, Télérama, France Inter ou France Culture.
La seconde différence, plus inquiétante, c’est le boycott sourd auquel se livrent un certain nombre de libraires qui confondent librairie et militantisme d’ultra-gauche. Les mêmes, on peut l’imaginer, ont dû jadis porter aux nues Soljenitsyne et les éditions Samizdat. Ce boycott consiste à ne jamais commander les livres de L’Artilleur. Rien ne les y oblige en effet. C’est ainsi qu’en France, sans la moindre censure d’État, une autre censure, plus insidieuse, mine le monde culturel. Ces censeurs-là n’interdisent jamais rien. Ils assassinent en silence. Il leur suffit de refuser de vendre les livres des mal-pensants.
Sorti en septembre 2021, mon livre n’était disponible que dans 96 librairies en France. Au même moment, un essai publié par Thomas Piketty était disponible dans près de 800 librairies. Ce refus de vente tue légalement. Dans le monde de ces censeurs, vous avez le droit de parler, on ne vous écoutera pas. Vous avez le droit d’écrire, on ne vous publiera pas. Et si l’on vous publie malgré tout, on vous enterrera dans le silence. C’est cette tentative à peine masquée de mise à mort économique et culturelle que L’Artilleur affronte depuis des années dans une certaine solitude.
Un exil français, de Georges Bensoussan, éd. L’Artilleur, 388 p., 2021, 20€.
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